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Faut-il faire du médiateur la personne à tout faire des conflits familiaux?

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Alors que des députés, reprenant certains des aspects de la loi "famille" abandonnée, formulent une proposition de loi qui sera bientôt discutée au Parlement, une solution semble devoir s'imposer: offrir davantage de médiation familiale, la rendre plus visible et aussi la rendre obligatoire dans certaines situations -typiquement, une fausse bonne idée.

La médiation familiale, c'est cette forme de médiation qui se propose de soutenir et d'accompagner les couples en rupture. Le médiateur est un professionnel de la famille, un "tiers neutre", qui offre de créer, avec la participation des intéressés, un espace où discuter l'ensemble des aspects de la réorganisation des relations familiales au moment d'une séparation. Lors de quelques séances qui réunissent les deux partenaires et le médiateur il s'agit d'envisager les décisions à prendre en ce qui concerne la vie des enfants, le partage des biens et tout ce qui pourrait faire problème ou envenimer les relations jusqu'à déclencher des conflits ouverts. Le médiateur se propose de sécuriser cette discussion et d'aider à la négociation. En France, la médiation familiale est devenue une profession il y a dix ans. Plusieurs centaines de médiateurs exercent leur activité, de manière assez discrète, le nombre des candidats au divorce qui s'adressent à eux restant encore bien limité, une dizaine de milliers de couples tout au plus chaque année, un très petit pourcentage de l'énorme contentieux du divorce et de la séparation.

On comprend les raisons de l'intérêt pour la médiation: celle-ci constitue, dans la famille comme c'est le cas à l'école ou dans les relations internationales, une belle idée, une solution généreuse qui vise à insuffler des principes de parité, d'équité, un esprit de démocratie qu'on voudrait voir régner partout.

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La médiation familiale serait appelée à devenir l'outil "magique" capable de figurer sur toutes les scènes du conflit familial, voire même au-delà. On en veut, bien sûr, à proximité des cabinets des juges aux affaires familiales. On en veut auprès des couples non seulement pendant le temps de la rupture, mais aussi dans l'après-divorce pour suivre les décisions prises, par exemple lorsqu'une résidence en alternance des enfants a été fixée. Mais ce n'est pas tout : on nous dit que le médiateur familial pourrait voir son champ d'action élargi au-delà du conjugal : s'occuper des difficultés relationnelles entre les ados et leurs parents, entre les parents et les grands-parents ; voire prendre en charge certaines mesures d'assistance éducative, les décisions prises par les juges des enfants en cas de danger, ou encore intervenir dans le champ de la santé, sur les relations entre patients et soignants, etc. Bref, on voudrait en faire la personne à tout faire des différends et des dysfonctionnements familiaux.

A ça, il n'y a pas que les "bonnes raisons" évoquées plus haut. Il y a aussi que les médiateurs, qui ont réussi en vingt ans à se constituer en profession, n'ont guère de travail et cherchent à étendre leur "juridiction professionnelle". Ayant obtenu de l'Etat une reconnaissance que d'autres groupes professionnels n'ont pas eue, ils sont devenus les nouveaux "experts" de la famille, à ceci près que la médiation reste une profession avec peu de clients et qui n'offre que peu d'emploi. Du coup, les médiateurs recherchent aujourd'hui, avec le même volontarisme, à susciter l'adhésion à la médiation, soit auprès de leurs clients "naturels", les couples en rupture, soit dans les nouveaux champs connexes qu'on a cités.

D'autres raisons encore, peut-être, militent en faveur du développement de la médiation familiale. Notamment, mais de cela on ne parle pas, le coût économique supposé moins élevé pour l'Etat du "traitement alternatif" des litiges familiaux - qu'il s'agisse d'épargner les ressources considérables mobilisées sur le plan judiciaire ou d'assurer une meilleure prise en charge des enfants concernés sur le plan pratique et affectif. Ces arguments, s'ils sont présents dans les sphères gouvernementales, ne sont pourtant jamais explicités, les seules justifications avancées tenant au caractère pacificateur de la médiation.

Comment faut-il voir la possibilité d'étendre le champ d'action de la médiation familiale? Qu'attendre du développement de cette pratique? En premier lieu, il y a des questions de faisabilité. Les médiateurs sont peu nombreux, les capacités de formation existent, mais elles sont limitées. On peut vouloir aiguiller davantage de situations vers la médiation familiale, encore faut-il s'assurer que la profession est capable de fournir le service attendu. En Grande-Bretagne, il y a déjà plus de dix ans, le gouvernement n'est-il pas revenu en arrière après avoir fait passer le traitement de l'ensemble des divorces à la médiation familiale, à cause de la désorganisation qui en est résulté? Si l'on veut éviter un tel "pas de clerc", il faudrait revenir sur cette expérience et établir des prévisions et un cahier des charges bien précis quant à la situation française.

On peut aussi s'inquiéter de la pertinence du choix du "tout-médiation". Vouloir faire du médiateur une personne à tout faire, en élargissant son champ de compétence, c'est oublier qu'il existe d'autres spécialistes de la famille, implantés depuis longtemps, efficaces, qui interviennent pour soutenir et accompagner les personnes dans différentes occurrences. On pense aux conseillers conjugaux et familiaux, toujours à la recherche d'un statut, qui sont plusieurs milliers en France et qui travaillent avec les couples en difficulté. On pense aux enquêteurs sociaux ou encore aux travailleurs sociaux qui exercent les mesures d'action éducative en milieu ouvert. Et aussi aux intervenants des espaces de rencontre qui se donnent pour mission de faciliter la reprise ou le maintien des relations enfants-parents lors des ruptures conflictuelles. Ces professionnels interviennent sur différents "segments" des difficultés conjugales et familiales. A vouloir que les médiateurs remplissent les mêmes fonctions, on risque un brouillage des identités professionnelles et des "incidents de frontières".

Il faudra veiller aussi, si l'on veut développer la médiation familiale, à faire en sorte qu'elle soit utilisée à bon escient. En particulier, on sait depuis longtemps que la médiation n'est pas appropriée dans les situations de violence avérée et continue. Et ce risque est encore accru lorsque la médiation est assortie d'une obligation, ce qui est proposé maintenant. En France, les médiateurs familiaux ne considèrent pas qu'il soit utile de mettre en place un dépistage de la violence, comme dans d'autres pays, aux Etats-Unis en particulier. Ils préfèrent considérer que le travail effectué avec le médiateur doit permettre de détecter de tels cas et que leurs compétences professionnelles les autorisent à intervenir. Il serait dommage que la pression sur les divorçants se trouve accrue pour qu'ils aillent en médiation sans qu'une réflexion sur cette question soit menée et rendue publique.

Enfin, se pose la question de savoir ce qu'on peut attendre véritablement du développement de la médiation familiale. Décider, comme certains le pensent, que les couples "n'ont qu'à" aller en médiation, est-ce la bonne solution? S'il est clair, en apparence au moins, que nous n'avons pas de meilleur modèle de gestion des crises, comment se fait-il que la médiation n'ait pas rencontré davantage de succès dans son développement? Et peut-on penser que ce modèle soit si pertinent qu'il doive s'imposer à tout le monde?

Quand on y regarde de plus près, la médiation s'apparente à une manière particulière de faire fonctionner le couple et la famille. Dès lors qu'elle valorise exclusivement la négociation comme outil de gestion du conflit et de réorganisation des relations familiales, elle s'adresse à des couples qui ont déjà les capacités pour réaliser ce qui est attendu d'eux. Quels couples peuvent réussir cette opération singulière qui consiste à se séparer tout en restant en lien sur un mode "raisonné"? La réponse est évidente : ceux qui fonctionnaient déjà sur un mode négociateur en tant que couple et peuvent continuer à le faire dans la séparation. Or, tous les couples ne fonctionnent pas de cette manière, loin de là. Peut-on vraiment penser que tous puissent se "convertir" au modèle de la coparentalité voulu par les médiateurs et inclus dans le dispositif qu'ils mettent en place. Les statistiques ne trompent pas à cet égard : le faible nombre de médiation vient de là. Les conjoints anticipent que s'y engager en impose beaucoup : rencontrer "l'autre", l'écouter, négocier et, bien sûr, faire des concessions... En réalité, la médiation prêche surtout des convaincus. Elle s'adresse à des couples qui veulent "bien faire", en pensant notamment à leurs enfants.

Alors, faut-il donner davantage de chance à la médiation en la rendant plus "obligatoire"? Les médiateurs y gagneraient peut-être quelques clients. Mais le prix à payer serait très élevé: un renoncement à la définition même de la médiation et, à terme, une routinisation de la pratique qui deviendrait un passage obligé supplémentaire pour les divorçants, sans aucune garantie qu'ils y abandonnent leur conflit.

Le "décollage" de la médiation, attendu depuis plus de vingt ans, ne se fera pas par décret. Il ira de pair avec la diffusion, dans la société toute entière, de la culture de la négociation. Il pourrait être aussi facilité par une réflexion plus ambitieuse sur les réorganisations familiales qui ne parte pas des intérêts des intervenants en place, mais qui reprenne la question des besoins des divorçants et de leurs enfants pour rediscuter les rôles des professionnels dans la prise en charge de ces affaires. A la faveur d'une telle réflexion, le divorce pourra être en partie déjudiciarisé et les médiateurs y gagneront un nouveau rôle. Obliger les couples à aller en médiation lorsqu'ils se séparent et sont en conflit ne suffira pas faire descendre des grues les pères en colère. Il faut aujourd'hui un programme de réflexion et d'action de grande ampleur pour que chaque parent se sente mieux reconnu et pris en considération, au bénéfice des enfants.

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