Depuis quelques années, en France comme ailleurs, les experts de santé publique s'inquiètent de la méfiance croissante des populations à l'égard de la vaccination. Cette méfiance est bien sûr illustrée par les controverses dont se font écho les médias, au sujet des possibles effets secondaires de tel ou tel vaccin. Elle se manifeste aussi par un déclin de la couverture vaccinale, et par des épidémies, de rougeole notamment, que l'on croyait appartenir au passé. Mais que penser de ce regain d'hostilité à l'égard de la vaccination?
Bien sûr, l'opposition à la vaccination est aussi ancienne que la vaccination elle-même. Aujourd'hui comme hier, cette opposition a souvent été décrite comme le produit de l'ignorance ou de la désinformation, de réactions émotionnelles, de peurs irrationnelles ou de croyances obscurantistes. Ces mêmes termes ont d'ailleurs été repris par certains experts pour décrire les réactions du public face au vaccin contre la grippe H1N1, en 2009.
A contrario, d'autres experts soulignent les spécificités contemporaines. D'une part, chacun est exhorté à se prendre en main, à devenir l'entrepreneur de sa propre santé, à évaluer les risques pour décider ceux qu'il est prêt à prendre. D'autre part, notre époque a "désenchanté" la science: celle-ci n'est plus la bonne fée qui accompagne le progrès, elle apparaît aussi comme susceptible de créer de nouveaux risques et de faire des dégâts, surtout lorsqu'elle est influencée par la quête de profits.
Dans ce contexte, il est légitime que le public interroge le bien-fondé des recommandations vaccinales, et que certains, soucieux de leur santé et bien informés, décident de décliner l'une d'entre elles.
Ces deux explications concurrentes sont associées à des profils sociodémographiques distincts: les "peurs infondées" seraient caractéristiques des classes populaires, des milieux les moins éduqués et les plus précaires, tandis que la "défiance légitime" serait plus répandue dans les classes moyennes et supérieures, et parmi les plus diplômés. Les données du Baromètre santé 2010, grande enquête périodique réalisée par l'Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé, permettent de tester ces deux explications, en examinant les profils associés à l'hostilité exprimée à l'égard de la vaccination en général, et du vaccin contre la grippe H1N1 en particulier, parmi près de 10 000 personnes âgées de 15 à 79 ans.
Ces données, qui ont été analysées par notre équipe Inserm et qui ont fait l'objet d'une publication dans la revue Social Science and Medicine, permettent aussi de vérifier les liens qu'entretiennent ces deux formes d'opposition à la vaccination, puisqu'elles sont susceptibles de se nourrir réciproquement.
D'après cette enquête, 38% des Français sont défavorables à la vaccination en général: ils étaient moins de 10% en 2000 et 2005. Cette hostilité est plus fréquente parmi les hommes et les plus de 50 ans, parmi les personnes les moins diplômées et les moins aisées, celles socialement isolées, ainsi que parmi les personnes dont les vaccinations ne sont pas à jour, et qui ne se vaccinent pas contre la grippe saisonnière. Quant à l'opposition spécifique à l'égard du vaccin contre la grippe H1N1, elle est exprimée spontanément par 40% des Français: cette hostilité est plus souvent déclarée par les femmes, les 35-45 ans, les personnes qui ont des niveaux de diplôme et de revenus intermédiaires, et qui sont à jour de leurs vaccinations. En outre, bien que ces deux attitudes soient associées à des profils sociodémographiques distincts, elles se nourrissent l'une l'autre: les personnes hostiles à la vaccination en général sont plus souvent opposées au vaccin contre la grippe H1N1, et réciproquement.
Que retenir de ces résultats? D'abord, il ne s'agissait pas de démontrer le caractère infondé ou légitime des oppositions déclarées à l'égard de tel ou tel vaccin, mais d'examiner les profils sociodémographiques associés. De ce point de vue, il apparaît que la défiance contemporaine à l'égard de la vaccination est plurielle, qu'elle mobilise des populations hétérogènes, suivant le vaccin considéré. Et dans certains cas, il peut s'agir d'individus aisés et diplômés, à jour dans leur vaccination, et en âge d'avoir des enfants eux-mêmes susceptibles d'être vaccinés.
Nos résultats font d'ailleurs écho à d'autres études, qui ont montré que les classes moyennes éduquées ont parfois tendance à combiner un fort investissement en faveur de leur santé (et de celle de leurs enfants), une recherche active d'informations médicales, avec une forte défiance à l'égard des autorités de santé et de la médecine allopathique dominante. Evidemment, face à ce type de "défiance éclairée", il est tout à fait inutile, voire contre-productif, de mettre en cause l'ignorance de masses mal éduquées et de tenter d'y remédier par des campagnes d'information vantant simplement les mérites universels de la vaccination.
Enfin, si la pandémie grippale annoncée en 2009 n'a finalement pas eu lieu, elle a tout de même laissé des séquelles durables. En effet, elle a renforcé la défiance des Français à l'égard de la vaccination en général, et elle a certainement contribué au recul du taux de vaccination contre la grippe saisonnière, observé depuis 2010.
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Bien sûr, l'opposition à la vaccination est aussi ancienne que la vaccination elle-même. Aujourd'hui comme hier, cette opposition a souvent été décrite comme le produit de l'ignorance ou de la désinformation, de réactions émotionnelles, de peurs irrationnelles ou de croyances obscurantistes. Ces mêmes termes ont d'ailleurs été repris par certains experts pour décrire les réactions du public face au vaccin contre la grippe H1N1, en 2009.
A contrario, d'autres experts soulignent les spécificités contemporaines. D'une part, chacun est exhorté à se prendre en main, à devenir l'entrepreneur de sa propre santé, à évaluer les risques pour décider ceux qu'il est prêt à prendre. D'autre part, notre époque a "désenchanté" la science: celle-ci n'est plus la bonne fée qui accompagne le progrès, elle apparaît aussi comme susceptible de créer de nouveaux risques et de faire des dégâts, surtout lorsqu'elle est influencée par la quête de profits.
Dans ce contexte, il est légitime que le public interroge le bien-fondé des recommandations vaccinales, et que certains, soucieux de leur santé et bien informés, décident de décliner l'une d'entre elles.
Ces deux explications concurrentes sont associées à des profils sociodémographiques distincts: les "peurs infondées" seraient caractéristiques des classes populaires, des milieux les moins éduqués et les plus précaires, tandis que la "défiance légitime" serait plus répandue dans les classes moyennes et supérieures, et parmi les plus diplômés. Les données du Baromètre santé 2010, grande enquête périodique réalisée par l'Institut National de Prévention et d'Education pour la Santé, permettent de tester ces deux explications, en examinant les profils associés à l'hostilité exprimée à l'égard de la vaccination en général, et du vaccin contre la grippe H1N1 en particulier, parmi près de 10 000 personnes âgées de 15 à 79 ans.
Ces données, qui ont été analysées par notre équipe Inserm et qui ont fait l'objet d'une publication dans la revue Social Science and Medicine, permettent aussi de vérifier les liens qu'entretiennent ces deux formes d'opposition à la vaccination, puisqu'elles sont susceptibles de se nourrir réciproquement.
D'après cette enquête, 38% des Français sont défavorables à la vaccination en général: ils étaient moins de 10% en 2000 et 2005. Cette hostilité est plus fréquente parmi les hommes et les plus de 50 ans, parmi les personnes les moins diplômées et les moins aisées, celles socialement isolées, ainsi que parmi les personnes dont les vaccinations ne sont pas à jour, et qui ne se vaccinent pas contre la grippe saisonnière. Quant à l'opposition spécifique à l'égard du vaccin contre la grippe H1N1, elle est exprimée spontanément par 40% des Français: cette hostilité est plus souvent déclarée par les femmes, les 35-45 ans, les personnes qui ont des niveaux de diplôme et de revenus intermédiaires, et qui sont à jour de leurs vaccinations. En outre, bien que ces deux attitudes soient associées à des profils sociodémographiques distincts, elles se nourrissent l'une l'autre: les personnes hostiles à la vaccination en général sont plus souvent opposées au vaccin contre la grippe H1N1, et réciproquement.
Que retenir de ces résultats? D'abord, il ne s'agissait pas de démontrer le caractère infondé ou légitime des oppositions déclarées à l'égard de tel ou tel vaccin, mais d'examiner les profils sociodémographiques associés. De ce point de vue, il apparaît que la défiance contemporaine à l'égard de la vaccination est plurielle, qu'elle mobilise des populations hétérogènes, suivant le vaccin considéré. Et dans certains cas, il peut s'agir d'individus aisés et diplômés, à jour dans leur vaccination, et en âge d'avoir des enfants eux-mêmes susceptibles d'être vaccinés.
Nos résultats font d'ailleurs écho à d'autres études, qui ont montré que les classes moyennes éduquées ont parfois tendance à combiner un fort investissement en faveur de leur santé (et de celle de leurs enfants), une recherche active d'informations médicales, avec une forte défiance à l'égard des autorités de santé et de la médecine allopathique dominante. Evidemment, face à ce type de "défiance éclairée", il est tout à fait inutile, voire contre-productif, de mettre en cause l'ignorance de masses mal éduquées et de tenter d'y remédier par des campagnes d'information vantant simplement les mérites universels de la vaccination.
Enfin, si la pandémie grippale annoncée en 2009 n'a finalement pas eu lieu, elle a tout de même laissé des séquelles durables. En effet, elle a renforcé la défiance des Français à l'égard de la vaccination en général, et elle a certainement contribué au recul du taux de vaccination contre la grippe saisonnière, observé depuis 2010.
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Références: Attitudes toward vaccination and the H1N1 vaccine: Poor people's unfounded fears or legitimate concerns of the elite?, Social Science and Medicine, mai 2014.
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