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Ma vie de détenue: jeux de mot ou jeux de dupes?

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Il est une expression terrible dont je commence seulement à pénétrer le sens..."Tuer le temps"... Besogne absorbante toujours recommencée... tuer le temps est une tâche vitale quand on est seul face à face avec lui...

Il faut beaucoup d'imagination et un grand esprit de méthode. C'est, avec le soin de sa santé l'unique souci de la détenue "il faut faire dans la durée"... Le seul moyen de "tuer le temps" si l'on ne veut pas dormir toute la journée, c'est de s'imposer un horaire strict, de ne se laisser une seule minute inoccupée, dès 6 h, se lever pour se faire un solide petit déjeuner avec le maigre argent que l'on a obtenu en travaillant pour cantiner les ingrédients convoités, du Nutella payé à prix d'or et du pain que l'on a grillé dans une poêle -une réelle motivation car la plaque électrique est très longue à chauffer- toute une élaboration laborieuse pour obtenir une jolie couleur dorée...

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Dès 7 h 30, travailler pour oublier où on est... jusqu'à 11 h 30 servir les repas, de 12 h 30 h à 13 h 30 repas, etc... Si par une fissure le désarroi, le désœuvrement, parviennent à s'introduire on est perdu... Depuis que j'ai des livres et de quoi travailler, il m'est devenu bien plus facile de vaincre le lent défilé des jours. Mais pendant le long mois où j'ai été enfermée les mains vides entre mes quatre murs, j'ai appris pour tuer le temps à vivre de petits détails, à prolonger les plus minuscules distractions et à en exprimer toute la sève, à doctriner la moindre besogne. Faire son lit est un art délicat on peut y consacrer une demi heure. Faire chauffer de l'eau avec le thermos plongeur pour obtenir une tasse de café soluble, laver son bol et son assiette, ranger ses affaires, lire la lettre qui vient d'arriver dont on prolonge à l'extrême le plaisir insoupçonné... Voilà une nouvelle vie humble.

Aux travaux ennuyeux et faciles, qui cessent d'être ennuyeux, parce qu'ils sont le seul dérivatif de la solitude et cessent d'être faciles, parce qu on s' y adonne vraiment. Acquiert-on ainsi de petites vertus ménagères? Peut être. Plus surement encore, on en devient maniaque. A force de répéter sans cesse les mêmes gestes insignifiants dans un cadre étroit, on finit par leur donner un rythme immuable. On n'imagine pas de nettoyer le sol bétonné dans un autre sens... Le plus petit travail est programmé. Comme on est certain d'avoir trouvé, à la longue les méthodes, les plus économiques, on s'y borne résolument. Des mécanismes se remontent et se déclenchent en vous. L'automatisme vous menace. Le moment le plus pénible à surmonter, c'est celui du crépuscule... La lente et mélancolique soirée car c'est d'ordinaire pour les femmes libres, l'heure du foyer retrouvé. Quand la nuit vient murer la fenêtre, que l'électricité s'allume, on pense à l'employée, l'ouvrière, la fonctionnaire qui, la journée de travail achevée, retrouve la tiédeur de sa maison. Ses habitudes fidèles. Alors la solitude pèse sur vous de tout son poids... Le livre tombe des mains, la pensée s'envole. C'est l'heure de rester maître de soi et de choisir pour sa rêverie les sentiers les moins sombres, ceux où l'on ne côtoie pas trop de précipices...

Josina Godelet est l'auteur de Journal de bord d'une détenue, écrouée trois mois à la prison de Sequedin.

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