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Prenez soin de nous!

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A partir des années 1980, la France affronte deux crises sanitaires majeures : celle liée au VIH/Sida et celle résultant de la multiplication d'accidents médicaux et de maladies nosocomiales. Courageusement le gouvernement de Lionel Jospin réunit des Etats généraux de la santé qui conduisent à la loi du 4 mars 2002 centrée sur les droits des malades et la qualité des soins.

Aujourd'hui, une nouvelle loi de santé est annoncée par ceux qui se situent dans cet héritage. Avec raison, car une autre crise, moins spectaculaire et donc moins médiatisée, se présente. C'est celle de l'explosion des maladies chroniques. Nous ne sommes plus dans les schémas anciens des cas aigus où un séjour hospitalier, plus ou moins long, apportait la guérison. Aujourd'hui, sous le double effet de l'allongement de la vie et des innovations thérapeutiques, nous sommes de plus en plus nombreux à vivre avec une ou des pathologies, pendant une ou plusieurs décennies et parfois pour toute une vie. Ainsi, pas moins de 15 millions de Français ont au moins un traitement au long cours et 9 millions parmi eux bénéficient du régime des affections de longue durée de l'Assurance maladie.

Notre pays peine à prendre la mesure de cette révolution de la maladie chronique. Il ne s'agit plus de traiter les malades à l'hôpital mais à leur domicile. Pour y parvenir, il faut donc modifier l'approche structurelle des soins : moins d'hôpitaux et plus de médecine de proximité. Nous bricolons des solutions qui sont loin d'être à l'échelle des besoins. C'est regrettable et terriblement inquiétant. Il faut aussi modifier la logique de soin elle-même.

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A cet égard, nos voisins britanniques ont deux mots pour parler du soin : cure pour "soigner" et care pour "prendre soin". Soigner c'est ce que fait assez bien la France, même s'il y a encore des efforts à faire. Il se dit même qu'elle soigne trop : 30 % de soins inutiles selon des études convergentes. Nous avons donc des marges de manœuvre pour déployer ces dépenses inutiles vers les nouveaux besoins, ceux du care. Car depuis la loi du 4 mars 2002, qui a consacré leurs droits, rien de bien adapté n'est venu répondre au triple défi de l'information, de l'orientation et du soutien de nos concitoyens confrontés à une maladie chronique ou à sa survenue.

Informer d'abord. Car la santé est une économie particulière qui repose sur une asymétrie de l'information entre les bénéficiaires des soins et ceux qui les organisent. Il ne s'agit plus ici de résoudre la question du droit à l'information dans la relation médecin-malade, où il reste encore des progrès à faire malgré l'obligation figurant dans la loi du 4 mars 2002, mais d'offrir à tous les citoyens ce fameux "GPS" de la santé qu'ils recherchent désespérément. Ils se ruent sur les palmarès des hôpitaux aujourd'hui. Ils se jetteront sur les palmarès des maisons de retraite demain. Il est invraisemblable qu'un pays comme le nôtre, qui consacre 12 % de son produit intérieur brut à la santé - le niveau le plus élevé de l'Union européenne - ne soit pas en situation d'offrir un outil de "navigation" convenable dans le système de santé afin que chacun tire le meilleur profit d'une offre de soins remarquable même si elle est souffre d'être parfois mal répartie et inégale en qualité. La lutte contre les inégalités sociales de santé, persistantes à un niveau trop élevé, doit nous motiver pour répondre à cette attente d'information. Spécialement pour ceux qui ont tant de difficultés à aller vers le système de soin : cessons de croire que l'information publique ou privée sur Internet y pourvoira toute seule !

Orienter ensuite. Si savoir est une chose, comprendre et solliciter le système de santé au mieux de ses besoins en est une autre. Cette orientation aurait pu découler des outils déjà mis en place. Mais la fonction de médecin traitant créée en 2004 reste un système de péage pour réguler l'accès aux spécialistes. Et le nouveau protocole de soins une farce médico-administrative : toujours rien en matière de plan personnalité de soins, malgré les efforts de la Haute autorité de santé pour mettre à disposition des parcours-type. Tout cela a fait pschitt ... On nous promet la coordination des professionnels, mais ce n'est pas cela qui produira de la coordination des soins ! Pas grave sans doute pour ceux qui ont de l'argent ou sont dotés d'un réseau de relations. Ils s'en sortiront toujours. Mais les autres ?

Soutenir enfin. C'est de plus en plus nécessaire. L'explosion des maladies chroniques réclame un véritable changement d'ère. Mais nous restons toujours avec nos vieilles logiques hospitalières. En 2009, la loi Bachelot avait reconnu la place de l'éducation thérapeutique dans le parcours de soin. Résultat : l'essentiel des actions sont à l'hôpital quand les malades sont en ville ! C'est absurde et c'est terriblement coûteux. Vivre la maladie c'est pouvoir l'accepter et se mettre en capacité de "vivre avec". Un grand nombre d'entre nous y parvient. Pour d'autres, c'est plus difficile. Le dialogue avec les pairs, validé par l'expérience et déployé au sein des associations, peut apporter des solutions pour restaurer les capacités de ceux qui éprouvent des difficultés avec leur maladie et réclament d'être accompagnés pour reconquérir l'estime de soi, retrouver l'observance perdue, repérer le chemin d'une activité professionnelle compatible avec son état de santé ou redonner un sens à une vie affectée, brisée parfois, par la maladie. Cependant, il ne s'agit pas de soutenir "comme avant" mais d'agir pour l'autonomie des personnes, car c'est l'esprit de notre temps.

Informer, orienter et soutenir, en vue de l'autonomie, c'est mettre du care dans le cure. On peut vouloir le faire dans le système de soin, mais nous désespérons de voir combien cela résiste. Il faut donc une autre voie. En bordure du soin, non dénuée de tout lien avec lui, mais résultant de la mobilisation des personnes elles-mêmes et pour elles-mêmes.

Car qui ne voit pas que nos concitoyens renoncent de plus en plus aux soins qui leur seraient utiles ? Nos élus ont bien perçu la dimension économique que tant d'experts démontrent. La dimension sociale est plus complexe et moins aisée à reconnaître parce qu'elle est moins facile à dire. Ainsi, en va-t-il de la peur après une première expérience mal vécue dans le soin, de l'insuffisante estime de soi provoquée par la maladie et ressentie comme une perte de légitimité pour aller vers le soin, de l'isolement social ou du faible niveau de connaissance qui prive de la possibilité de réclamer des explications, le traitement de ses douleurs ou la prise en charge des effets secondaires d'un médicament. C'est aussi parfois la honte de dire que l'on n'a pas d'argent alors que peut-être il y a des droits à ouvrir ou un dispositif financier adapté.

Tout cela on l'observe au quotidien dans les lieux associatifs qui tendent valeureusement la main à tous ceux dont le système de santé ne prend pas soin. C'est pour eux que nous avons besoin d'une logique du care. Dans le soin, si l'on y parvient. Mais aussi assurément à côté du soin pour renforcer les capacités des citoyens à utiliser au mieux un système auquel ils sont comme tout un chacun éligibles. Il est singulier que nous ayons tant de mal à nous faire comprendre. On se moque du care. On ne comprend pas ce nouveau besoin. Mais quelle langue faut-il alors parler ? L'anglais ?

Alors que se prépare la loi de santé annoncée par Mme Touraine pour concrétiser de nombreux aspects de la nouvelle stratégie nationale de santé dont le gouvernement entend doter notre pays, il serait insupportable que cette stratégie se vante d'accompagner les professionnels de santé pour prendre le virage ambulatoire qui s'impose et n'accomplisse aucun effort comparable en vue de renforcer les capacités et l'autonomie des patients qui le nécessitent. Comprenons bien cependant qu'il ne s'agit pas seulement d'affirmer un droit à l'accompagnement - un droit de plus comme nous savons si bien faire - mais de mettre en place des dispositifs pour ceux qui ont besoin que l'on prenne soin d'eux. Des lumières vers le soin, pendant et après le soin.

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