Blottie dans la mousse jusqu'au nez, telle une princesse des Mille et Une Nuits, je me le jure: ceci sera mon dernier bain. Non que j'aie l'intention de mourir demain, mais franchement, est-ce bien raisonnable de s'octroyer ce luxe, quand 2,5 milliards d'humains n'ont pas d'accès facile à l'eau potable? Dès que j'ouvre le robinet, le démon de l'écologie, perfide, envahit mon cerveau : "Douze litres à la minute, Sophie, tu te rends compte? Faudrait pas mettre un arrosoir sous le robinet le temps que l'eau chaude arrive?"
Je plonge mes yeux dans le fond de la baignoire et essaie de me figurer l'ampleur du délit: consommer 200 litres d'eau pour une demi-heure de plaisir et de détente, c'est cher payé pour la planète. Si je veux vraiment être enveloppée de chaleur, je n'ai qu'à faire comme ces femmes orientales qui n'ont pas le luxe d'avoir une salle de bains chez elles: aller au hammam.
Trois minutes sous la douche, ça suffit
Je me rappelle la très sérieuse enquête publiée par le New York Times il y a quelques années sur les unwashed, la dernière lubie des intellos à poil long. L'article expliquait que trois douches par semaine pouvaient suffire à se dire propre et proposait quelques astuces pour ne pas sentir mauvais: une tranche de citron sous le bras, un coup de savon entre les jambes et sous les pieds et le tour est joué. Enfant, je faisais ma toilette quotidienne au bidet (un objet en voie de disparition) et le grand lessivage était réservé aux week-ends. Cela ne faisait pas de moi une pestiférée, je changeais mes dessous tous les jours et j'étais propre juste ce qu'il faut. Surtout, ma peau n'avait pas autant besoin d'être hydratée que maintenant où je prends une douche tous les matins.
Un tel phénomène pourrait-il toucher la France? Selon un sondage BVA pour Tork, en 2012, la tendance est amorcée: 20% des Français ne se laveraient qu'une fois tous les deux jours, 3,5% des personnes interrogées disent ne se laver qu'une fois par semaine et seulement 11,5% plus d'une fois par jour. Un Français consomme beaucoup moins qu'un Américain, mais tout de même 151 litres d'eau par jour en moyenne; 39% de ce volume concerne la salle de bains, 20% les toilettes.
Si je remplace un bain par une douche de 5 minutes, cela équivaut à plus d'une centaine de litres d'économisés. Cinq minutes, c'est peu quand on sait que le Français moyen passe 10 minutes sous la douche. J'essaie donc de descendre de 7 à 5 minutes, ce qui me semble le bon compromis entre plaisir et efficacité. Je parviens à 3 minutes (et 5 les jours de shampoing), à condition de ne pas confondre douche et réveil. Plus vous aurez émergé avant, plus il sera facile de couper l'eau. Autre tuyau, sévère mais efficace: s'imposer 30 secondes d'eau tiède-froide en fin de partie, histoire de se frictionner et d'avoir envie de sortir. (En vrai, je tiens 5 secondes et j'estime que c'est déjà bien.)
Quel intérêt pour le porte-monnaie?
Pour en avoir le cœur vraiment net, être objective sur l'impact de nos efforts de privation de bains, j'appelle le Centre d'information sur l'eau, association créée il y a dix-sept ans pour diffuser l'information la plus fiable sur le secteur (les entreprises la financent mais ce n'est pas un lobby). Sa directrice générale, Maryllis Macé, prend tout son temps pour me renseigner.
- Si j'arrête de prendre des bains, ça change quelque chose pour la planète?
- Il y a une question économique déjà.
- Vous voulez dire que si je consomme moins d'eau, ma facture va baisser? Mais je ne sais même pas combien je consomme d'eau ni combien ça me coûte...
- Si vous êtes locataire et n'avez pas de compteur individuel, en effet vous ne pouvez pas savoir. Votre facture est calculée par le syndic sur la base de vos mètres carrés (les percentiles), et dans vos charges le poste eau chaude est dissocié, donc c'est très compliqué à comprendre et peu transparent.
- Alors quel intérêt pourrais-je avoir à me priver de bains?
- C'est aussi une question de civisme, de respect de la planète et des autres. L'eau que vous ne consommez pas ne sera pas utilisée par un petit Africain, ni par un Niçois mais pourra l'être par votre voisin.
- Si je comprends bien, c'est la version adulte de "ne laisse pas couler l'eau du robinet pendant que tu te brosses les dents", ça permet de prendre conscience que c'est un bien commun de l'humanité. Rien de plus, mais c'est déjà ça.
Elle acquiesce et me laisse avec ce sentiment que la bataille du bain ne vaut pas tellement la peine d'être menée sous mon toit. À 0,3 centime le litre d'eau en moyenne en France, chaque foyer dépense environ 1 euro par jour, pas de quoi prendre conscience de la rareté de la chose (il suffit de comparer avec le pétrole, dont la hausse de quelques dollars le baril fait trembler l'économie mondiale).
Le coton pollue plus que le bain
Attention, voici une vérité qui dérange: en 2013, le premier poste mondial est, de loin, l'agriculture avec 70% de la consommation d'eau mondiale. C'est donc dans nos consommations qu'on peut agir sur l'eau prélevée. Ainsi, le Water Footprint Network a calculé combien de litres d'eau "pesaient" indirectement sur des consommations courantes: une tasse de thé, 35 litres d'eau (entre la culture, la récolte, et le travail de la plante), un steak haché de 150 grammes, 2400 litres d'eau (essentiellement pour produire les céréales nécessaires au bovin), un t-shirt en coton, 20.000 litres d'eau (la culture de cette plante étant particulièrement demandeuse d'arrosage).
Soyons honnêtes, je ne vais pas arrêter d'acheter des vêtements en coton, donc autant ne promettre que ce qui est à ma portée: faire passer le cycle de lessive de 120 à 40 litres grâce à un lave-linge performant et un programme court est très facile, préférer le lave-vaisselle à la vaisselle encore plus, et tirer moins souvent la chasse d'eau... ça dépend.
Pleine de bonne volonté, j'écris à mon propriétaire pour lui demander d'installer une double chasse d'eau. Je n'obtiendrai jamais de réponse, juste un silence méprisant. Il faut dire que je ne suis pas allée jusqu'à lui faire le tableau d'amortissement de l'installation. Il aurait pourtant rapidement compris qu'à 50 euros le double flux, qui permet d'économiser environ 2500 litres par an et par personne, il aurait été gagnant au bout de quelques années. Je comprends bien que ce sujet l'intéresse peu.
Je plonge mes yeux dans le fond de la baignoire et essaie de me figurer l'ampleur du délit: consommer 200 litres d'eau pour une demi-heure de plaisir et de détente, c'est cher payé pour la planète. Si je veux vraiment être enveloppée de chaleur, je n'ai qu'à faire comme ces femmes orientales qui n'ont pas le luxe d'avoir une salle de bains chez elles: aller au hammam.
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Trois minutes sous la douche, ça suffit
Je me rappelle la très sérieuse enquête publiée par le New York Times il y a quelques années sur les unwashed, la dernière lubie des intellos à poil long. L'article expliquait que trois douches par semaine pouvaient suffire à se dire propre et proposait quelques astuces pour ne pas sentir mauvais: une tranche de citron sous le bras, un coup de savon entre les jambes et sous les pieds et le tour est joué. Enfant, je faisais ma toilette quotidienne au bidet (un objet en voie de disparition) et le grand lessivage était réservé aux week-ends. Cela ne faisait pas de moi une pestiférée, je changeais mes dessous tous les jours et j'étais propre juste ce qu'il faut. Surtout, ma peau n'avait pas autant besoin d'être hydratée que maintenant où je prends une douche tous les matins.
Un tel phénomène pourrait-il toucher la France? Selon un sondage BVA pour Tork, en 2012, la tendance est amorcée: 20% des Français ne se laveraient qu'une fois tous les deux jours, 3,5% des personnes interrogées disent ne se laver qu'une fois par semaine et seulement 11,5% plus d'une fois par jour. Un Français consomme beaucoup moins qu'un Américain, mais tout de même 151 litres d'eau par jour en moyenne; 39% de ce volume concerne la salle de bains, 20% les toilettes.
Si je remplace un bain par une douche de 5 minutes, cela équivaut à plus d'une centaine de litres d'économisés. Cinq minutes, c'est peu quand on sait que le Français moyen passe 10 minutes sous la douche. J'essaie donc de descendre de 7 à 5 minutes, ce qui me semble le bon compromis entre plaisir et efficacité. Je parviens à 3 minutes (et 5 les jours de shampoing), à condition de ne pas confondre douche et réveil. Plus vous aurez émergé avant, plus il sera facile de couper l'eau. Autre tuyau, sévère mais efficace: s'imposer 30 secondes d'eau tiède-froide en fin de partie, histoire de se frictionner et d'avoir envie de sortir. (En vrai, je tiens 5 secondes et j'estime que c'est déjà bien.)
Quel intérêt pour le porte-monnaie?
Pour en avoir le cœur vraiment net, être objective sur l'impact de nos efforts de privation de bains, j'appelle le Centre d'information sur l'eau, association créée il y a dix-sept ans pour diffuser l'information la plus fiable sur le secteur (les entreprises la financent mais ce n'est pas un lobby). Sa directrice générale, Maryllis Macé, prend tout son temps pour me renseigner.
- Si j'arrête de prendre des bains, ça change quelque chose pour la planète?
- Il y a une question économique déjà.
- Vous voulez dire que si je consomme moins d'eau, ma facture va baisser? Mais je ne sais même pas combien je consomme d'eau ni combien ça me coûte...
- Si vous êtes locataire et n'avez pas de compteur individuel, en effet vous ne pouvez pas savoir. Votre facture est calculée par le syndic sur la base de vos mètres carrés (les percentiles), et dans vos charges le poste eau chaude est dissocié, donc c'est très compliqué à comprendre et peu transparent.
- Alors quel intérêt pourrais-je avoir à me priver de bains?
- C'est aussi une question de civisme, de respect de la planète et des autres. L'eau que vous ne consommez pas ne sera pas utilisée par un petit Africain, ni par un Niçois mais pourra l'être par votre voisin.
- Si je comprends bien, c'est la version adulte de "ne laisse pas couler l'eau du robinet pendant que tu te brosses les dents", ça permet de prendre conscience que c'est un bien commun de l'humanité. Rien de plus, mais c'est déjà ça.
Elle acquiesce et me laisse avec ce sentiment que la bataille du bain ne vaut pas tellement la peine d'être menée sous mon toit. À 0,3 centime le litre d'eau en moyenne en France, chaque foyer dépense environ 1 euro par jour, pas de quoi prendre conscience de la rareté de la chose (il suffit de comparer avec le pétrole, dont la hausse de quelques dollars le baril fait trembler l'économie mondiale).
Le coton pollue plus que le bain
Attention, voici une vérité qui dérange: en 2013, le premier poste mondial est, de loin, l'agriculture avec 70% de la consommation d'eau mondiale. C'est donc dans nos consommations qu'on peut agir sur l'eau prélevée. Ainsi, le Water Footprint Network a calculé combien de litres d'eau "pesaient" indirectement sur des consommations courantes: une tasse de thé, 35 litres d'eau (entre la culture, la récolte, et le travail de la plante), un steak haché de 150 grammes, 2400 litres d'eau (essentiellement pour produire les céréales nécessaires au bovin), un t-shirt en coton, 20.000 litres d'eau (la culture de cette plante étant particulièrement demandeuse d'arrosage).
Soyons honnêtes, je ne vais pas arrêter d'acheter des vêtements en coton, donc autant ne promettre que ce qui est à ma portée: faire passer le cycle de lessive de 120 à 40 litres grâce à un lave-linge performant et un programme court est très facile, préférer le lave-vaisselle à la vaisselle encore plus, et tirer moins souvent la chasse d'eau... ça dépend.
Pleine de bonne volonté, j'écris à mon propriétaire pour lui demander d'installer une double chasse d'eau. Je n'obtiendrai jamais de réponse, juste un silence méprisant. Il faut dire que je ne suis pas allée jusqu'à lui faire le tableau d'amortissement de l'installation. Il aurait pourtant rapidement compris qu'à 50 euros le double flux, qui permet d'économiser environ 2500 litres par an et par personne, il aurait été gagnant au bout de quelques années. Je comprends bien que ce sujet l'intéresse peu.
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