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Oui, Christiane Taubira est un singe. Et moi aussi.

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Une ex-candidate FN a été condamnée pour avoir comparé Christiane Taubira à un jeune primate dans un montage photo. Dans les attendus du jugement, le tribunal souligne que "le fait d'assimiler une personne quelle qu'elle soit, à un animal, constitue une injure, faite à l'humanité entière". Dans sa légitime volonté de lutter contre les discriminations, un tribunal peut-il aller à ce point contre la science, et dans une telle confusion des termes? En réponse à la volonté manifeste d'humilier, la justice peut-elle se contenter de déplacer simplement la frontière arbitraire qui sépare les individus dignes de considération et les autres?

Londres, 1859. On raconte que lorsque Charles Darwin publia l'Origine des espèces dans l'Angleterre du XIXe siècle, l'épouse d'un archevêque anglican, nommée Lady Worcester, se serait exclamée: "Mon Dieu, pourvu que cela ne soit pas vrai, et si jamais ça l'est pourvu que cela ne se sache pas!" Plus de 150 ans après Darwin - et faisant fi de tous les progrès de la biologie évolutive et de l'éthologie cognitive - le caractère offensant de cette comparaison paraît intact lorsque le tribunal correctionnel déclare que "le fait d'assimiler une personne à un animal constitue une insulte", oubliant dans le même mouvement que non seulement les animaux sont aussi des personnes - c'est à dire les sujets conscients de leur propre existence - mais que les humains sont aussi des animaux.

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Sale bête, sale nègre, sale gonzesse

Dans le cadre de ce jugement, il y avait sans doute suffisamment matière pour insister sur l'intention d'humilier, et sur la discrimination évidente qui consiste à réserver de telles comparaisons à une catégorie de personnes seulement. Dans Sale bête, sale nègre, sale gonzesse, Yves Bonnardel note que les insultes discriminatoires visent toujours à exclure la personne injuriée d'une catégorie sociale dominante ou privilégiée (la bonne couleur de peau, le bon sexe, la bonne espèce) et à la rabaisser vers une catégorie péjorative. Pourquoi un tribunal ne parvient-il pas à saisir que c'est l'existence même de ces catégories qui pose un véritable problème, et qu'il est peut-être contre-productif de renforcer leur importance par des déclarations qui en valident le caractère humiliant? Il était à la portée des juges de constater la volonté de nuire publiquement à l'image de la garde des Sceaux en la rabaissant arbitrairement au niveau où l'on rabaisse ordinairement les autres animaux, tout aussi arbitrairement. Mais la déclaration du tribunal va plus loin: elle accrédite la validité de l'insulte.

Etre un animal est-il péjoratif?

Prenons le cas d'Ayumu, un jeune chimpanzé mâle. Tel le chimpanzé César dans La Planète des Singes, ce primate infligea un affront aux capacités humaines de mémorisation lors d'une étude menée à l'Université de Kyoto en 2007. Dans cette expérience, le chimpanzé retient des séries aléatoires de 9 chiffres, compris entre 1 et 9, qui apparaissent une fraction de seconde sur un écran tactile, puis disparaissent, masqués sous de petits carrés blancs, qu'Ayumu touche ensuite tour à tour, dans l'ordre croissant des numéros qui figuraient à leur place. Dans l'étude réalisée à Kyoto, Ayumu a aussi distancé - et de loin - tout un groupe d'étudiants. L'année suivante, il battait le champion britannique des concours de mémoire, Ben Pridmore.

C'est un fait établi que, comme nous, les animaux sont les sujets de leur propre vie. Ils ressentent ce qui leur arrive, et font comme nous l'expérience sensible du monde à titre individuel et conscient. Ils expriment des émotions semblables à celles que nous appelons la satisfaction, la dépression, le chagrin, la colère, l'inquiétude. Ils protègent leurs petits, se blottissent comme nous les uns contre les autres, et ressentent sans aucun doute la douleur. Ils sont doués de volonté, apprennent, mémorisent, décident, tirent des ressources de leur environnement, cherchent à en éviter les dangers, et pour certains d'entre eux s'inscrivent dans des rapports sociaux. Rien qu'en France, par exemple, plus de 3 millions d'animaux par jour meurent dans le vacarme et la puanteur des abattoirs, dans une indifférence quasi-générale et pour une nourriture dont personne n'a réellement besoin. Chaque jour.

L'humanisme exclusif à la française

De nos jours, on tolère moins que par le passé les discriminations fondées sur la couleur, la nationalité, le sexe, l'extraction sociale, la maladie ou le handicap. Cependant, cet élargissement du cercle des égaux s'est opéré en invoquant notre commune humanité. Pour ce faire, les mythes glorifiant la spécificité humaine ont été mobilisés à plein. De sorte que l'intégration des uns a été acquise en applaudissant à l'exclusion des autres, et qu'un progrès qui repose sur des bases aussi fragiles laisse la porte ouverte dans le sens d'un retour en arrière. Au fond, que fait-on de mal aux esclaves, aux déportés, aux victimes des guerres et génocides, à ceux que des intérêts économiques condamnent à une vie de misère? On les traite comme des bêtes. On les traite à tort comme il est normal de traiter les bêtes. On a utilisé le mépris des animaux pour cimenter l'égalité humaine, et on continue.

Ainsi, les discours pompeux et auto-satisfaits sur une prétendue dignité humaine ont deux défauts considérables: en fondant la notion d'égalité sur un arbitraire biologique, ils n'empêchent pas seulement d'élargir le champ de notre considération aux autres espèces capables de souffrir, ils nous empêchent aussi de reconnaître que la sensibilité est, précisément et pour chacun d'entre nous, la seule chose qui compte, et que nous avons tous en commun.

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