Quantcast
Channel: France C'est La Vie - The Huffington Post
Viewing all articles
Browse latest Browse all 7372

Comment les nouveaux sénateurs doivent-ils s'habiller pour leur rentrée?

$
0
0
Ils arrivent demain. Les nouveaux sénateurs du Palais du Luxembourg vont faire leur entrée. Il y en a même un qui a 26 ans ! Le Sénat est donc en pleine révolution. Mais comme leurs collègues députés, aussitôt élus les "petits nouveaux" vont vite se faire briefer par les huissiers sur le dress code des assemblées: "tenue décente et port de la veste et de la cravate obligatoire".

S'il n'existe plus de costume parlementaire officiel, l'habit cérémonial né sous la Ière République ayant disparu sous la IIIe République, il est frappant d'observer aujourd'hui l'étonnante homogénéité des vêtements dans les Chambres. Hommes et femmes rivalisent de sobriété dans leur apparence. Comment exister alors, au cours des débats parlementaires, lorsque les teintes dominantes des hémicycles sont le "gris-bleu-noir"? Un problème d'autant plus fort dans la société du spectacle que ces débats sont retransmis en direct à la télévision, notamment lors des fameuses séances de "questions au Gouvernement". Il suffit de mettre Public Sénat ou La Chaine Parlementaire pour se convaincre que les élus sont "uniformes".

Pour les nouveaux sénateurs, assurer leur visibilité va vite devenir une condition même de leur survie politico-médiatique. Et c'est là que la stratégie vestimentaire prend toute sa place. Être visible aux yeux du public peut prendre plusieurs formes.

Le précurseur en la matière fut le "père Gérard", figure pittoresque de la Révolution française, présent dans le tableau de Jacques-Louis David, Le Serment du Jeu de Paume, aux côtés de Mirabeau et Robespierre. Michel Gérard n'hésita pas à se rendre à la convocation des États généraux de 1789 dans son habit de cultivateur, et devint une figure populaire de la Constituante. Il fut le premier à exploiter son identité paysanne par le look, exprimant ainsi son refus du costume des députés du tiers-état.

Le 30 avril 1848, le Gouvernement Provisoire décide d'obliger les membres de la Constituante à porter un costume composé de l'habit noir, du gilet blanc rabattu sur les revers, du pantalon noir et d'une ceinture tricolore en soie, garnie d'une frange en or, à graines d'épinard, et à la boutonnière gauche de l'habit, un ruban rouge avec les faisceaux de la République. Mais des élus préférèrent arborer le costume de leur profession, tel Louis Marius Astouin, député des Bouches-du-Rhône, qui siégea affublé d'un pantalon, d'un gilet droit et d'une veste carrée tombant jusqu'aux hanches, à l'image des membres de sa corporation qui débarquaient les marchandises des bateaux.

François Soubigou, sénateur du Finistère de 1876 à 1894, siégera lui aussi dans son habit de paysan breton, tout comme Joseph Cadic élu député du Morbihan en 1924. Pour ces propriétaires terriens, il s'agissait, là encore, de mettre en avant leur condition d'exploitant agricole. Pour le député Christophe Thivrier élu en 1889, c'est en blouse bleue d'ouvrier qu'il se présentera à l'Assemblée nationale respectant ainsi l'engagement pris devant les mineurs de Bézenet. Il refusa même de la quitter sous les injonctions des huissiers, leur rétorquant : "Quand l'abbé Lemire posera sa soutane, quand le général de Gallifet quittera son uniforme, je poserai ma blouse d'ouvrier". Il sera d'ailleurs imité par André Marty, dirigeant du Parti communiste et député sous les IIIème et IVème Républiques, qui exploitera lui aussi la symbolique du "député-travailleur". Normal, les électeurs sont sensibles au côté proche du peuple. Joseph Le Pévedic, député du Morbihan de 1928 à 1940 resté célèbre pour son côté rustique, siégeait souvent en costume breton jouissant ainsi d'une grande popularité. On raconte même qu'il était surnommé « Job » par ses collègues en raison de la pauvreté de ses vêtements. En ces temps de défiance vis-à-vis des élus, l'habit serait-il une arme de reconquête du cœur de nos concitoyens ? Les jeunes sénateurs vont-ils faire exploser les règles vestimentaires ?

L'entorse au dress code va donc au-delà de la simple visibilité, et la tenue devient, en soi, une arme d'expression politique. L'ancien mécanicien de Saint-Gobain, Patrice Carvalho, ne s'y trompe pas lorsqu'il débarque en 1997 au Palais Bourbon en bleu de travail. Réélu en 2012, et bien que ce fait d'armes ne l'ait pas empêché de siéger dans l'hémicycle, la tenue du communiste s'est quelque peu embourgeoisée puisqu'il se plie sagement, désormais, au combo costume cravate.

S'il arrive que nos parlementaires aient du mal à se plier aux obligations vestimentaires des Chambres, c'est parfois pour répondre à une logique purement médiatique. Exit donc la sobriété, il faut être vu, attirer la lumière des caméras. Les habitués des couloirs des assemblées vous diront qu'il y a deux stratégies. La première c'est de se coller systématiquement à côté du parlementaire qui prend la parole. Vous êtes ainsi sûr de vous retrouver dans l'axe de la camera. Pratique quand on veut signifier à ses électeurs qu'on fait le job, certifié par la mention « vu à la télé ». Pour cela, rien de plus simple, il suffit de se procurer la liste des parlementaires appelés à intervenir en séances, quelques minutes avant le direct, et de se caler à une bonne place, près de l'orateur. Le petit nouveau Razzy Hammadi se débrouille pas mal en la matière à l'Assemblée nationale.

L'autre option, c'est celle du paon. Loin de moi l'idée de comparer nos élus à des faisans, mais occuper l'espace en irradiant l'hémicycle par des couleurs chatoyantes est une manière habile de s'assurer une certaine visibilité. Feu le député Patrick Roy (dont je salue la mémoire, partageant avec lui un goût pour le Rock'n'roll) s'était illustré par ses vestes et cravates rouges vives, le transformant en véritable phare au milieu de ses collègues. Lucien Degauchy, député de l'Oise, joue quant à lui des deux méthodes. Il se déplace pour être toujours dans l'axe de la camera et, pendant les séances de questions au Gouvernement, parade avec une veste jaune moutarde qu'aucun technicien de France 3 n'a pu oublier.

Ces dernières années, la progression des femmes dans les assemblées, fort heureuse politiquement et stylistiquement, a fait croitre les touches de couleurs dans l'hémicycle. Des tailleurs roses de Roselyne Bachelot, jusqu'aux vestes oranges ou vertes de Christiane Taubira, en passant par les pashmînâs violets de Christine Boutin, les codes vestimentaires sont en pleine transformation. Comme quoi, il en faut peu pour comprendre la physionomie politique d'une Chambre. Dis-moi ce que tu portes... je te dirais qui est à l'Assemblée !

Les Habits du Parlement
Au lendemain des élections sénatoriales, Samir Hammal, enseignant à Sciences Po, créateur du cours "les habits du pouvoir", analyse le dress code des assemblées parlementaires.


Retrouvez les articles du HuffPost C'est la vie sur notre page Facebook.

Pour suivre les dernières actualités en direct, cliquez ici.

Viewing all articles
Browse latest Browse all 7372

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>