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Fin de vie: "Ne m'abandonnez pas, ne me laissez pas mourir comme un chien, aidez-moi!"

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"Ne m'abandonnez pas, ne me laissez pas mourir comme un chien enfermé dans sa chambre. Aidez-moi ! Tout ceci n'a plus de sens".


Cette demande d'aide à mourir est celle d'un patient que j'accompagne depuis longtemps dans le parcours chaotique d'un cancer du poumon en phase palliative.

Cette supplique n'est pas celle d'un homme dévoré par la douleur, ni par une souffrance psychologique insupportable.

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Cette demande d'euthanasie est celle d'un homme qui connaît parfaitement sa maladie et qui sait qu'il va mourir. Cet homme qui a toujours su organiser sa vie en faisant des choix parfois douloureux et complexes me demande une dernière fois de lui permettre de rester libre en l'aidant à organiser les conditions dans lesquelles il va mourir.

Cet homme ne me demande pas de le tuer, il me demande de l'accompagner et de lui donner, le moment venu, le moment décidé par lui, les conditions d'une mort douce.

Ces demandes d'euthanasie sont-elles rares ? Revêtent-elles un un caractère exceptionnel ?

Praticien hospitalier, responsable d'un service départemental de soins palliatifs et d'un service d'Hospitalisation à Domicile (HAD) depuis bientôt 15 ans et aujourd'hui délégué départemental de la Corrèze de l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), je puis affirmer que les demandes d'euthanasie existent. Si elles ne sont pas les plus fréquentes dans l'exercice de ma profession, elles n'en révèlent pas moins un questionnement de philosophie morale sur le droit à disposer de soi.

Des soignants, en particulier ceux qui exercent les soins palliatifs, affirment que les demandes d'euthanasie n'existent pas et que l'accompagnement palliatif résout ce type de demandes.

Ces soignants mentent.

Ils mentent ou bien ils ne donnent pas à la personne malade la liberté d'exprimer entièrement et pleinement sa parole.

Ils mentent parce qu'il ne veulent pas entendre ces paroles qui feraient sans doute vaciller le pouvoir médical et qui imposeraient que l'on porte un regard neuf sur la conception du soin et de l'accompagnement en fin de vie.

Entendre, écouter et reconnaître la parole de la personne malade imposerait de poser un regard de soignant dégagé de sa toute puissance.

Être ouvert à la parole qui dérange, à la parole qui interroge, à la parole qui interpelle et supplie nécessite une oreille capable de s'extraire de cette conception normative du soin qui toujours enferme la personne en fin de vie dans une geôle où la parole est muselée.

Le débat médical et soignant sur l'euthanasie ne s'aventure que très rarement sur le terrain de la réflexion sur la liberté de disposer de soi.

A-t-on entendu les « experts », les « sachants », les porteurs de la parole « légitime » et les idéologues du « bien mourir » s'interroger sur la valeur de la parole de la personne malade ? Sur le bien fondé moral de respecter cette parole ? Sur cette dernière liberté fondamentale de décider en homme libre des conditions de sa fin de vie ?

Le débat médical sur la fin de vie s'inscrit d'emblée dans une vision manichéenne du soin et de l'accompagnement en fin de vie.

Le débat sur la fin de vie s'exprime essentiellement par des slogans violents qui, immédiatement, excluent, discriminent et jugent.

La réflexion éthique sur la fin de vie et le droit de disposer de soi mérite-t-elle d'être si maltraitée ?

« Le médecin n'est pas là pour tuer », « le médecin est la main qui soigne et non qui tue », « soulager mais pas tuer ». Voici un échantillon de slogans vociférés par les opposants à l'euthanasie.

Expression étriquée et réductrice de la pensée, ces slogans accusateurs n'ont pour seul but que de diffuser une idéologie restrictive de la liberté humaine. Ces slogans sont le désir avoué de dominer et de contraindre l'homme dans le carcan du bien et du mal, du juste et de l'injuste.

On ne parle ici que du médecin. Le médecin est au centre du débat. Le médecin devient le blason d'un étendard de vertu qui claque au vent des amalgames, du sensationnel et de l'émotionnel.

La grande oubliée est la personne malade.

Quelle place lui est-il laissée pour simplement exprimer ses choix et volontés ? Aucune.

La personne malade, reléguée dans les oubliettes du débat, n'a pas le droit à la parole.

Les index accusateurs des idéologues de la domination se dresseront. Le malade sera alors coupable d'avoir simplement demandé une aide sur les conditions de sa fin de vie. Une aide pour mourir de manière douce et aimante. Le médecin qui répondrait à cette demande serait immédiatement jeté sur le bûcher de l'intolérance et accusé d'être un assassin indigne d'être un soignant.

Et si par hasard on donne la parole au malade, cette parole sera immédiatement remodelée, redessinée et épurée par le gabarit de la norme soignante.

L'euthanasie et le suicide médicalement assisté sont impensables. La parole soignante, certes bienveillante, mettra alors tout en œuvre pour dévier, aiguiller et mener la parole du malade dans le champ de ce que l'orthodoxie soignante peut accepter et entendre. C'est uniquement sur le sentier balisé par la pensée soignante dominante que la personne malade pourra exprimer sa volonté. Toutes les échardes et aspérités qui pourraient éperonner le médecin dans ses certitudes seront bien vite polies et réduites à néant.

La relation médecin-malade s'organise d'emblée sur un mode inégalitaire. Il y a le « sachant » en blouse blanche et le malade demandeur de soins. Cette relation inégalitaire, dans le domaine de la fin de vie est d'autant plus visible que la personne malade se trouve dans un état de vulnérabilité liée à la maladie grave et à l'angoisse de la mort.

La personne malade verra donc sa demande d'aide à mourir soit totalement rejetée et niée par une parole soignante autoritaire et dominante, soit confrontée à un paternalisme manipulateur qui parviendra à ses fins en imposant ce qui est « bon et juste » à la place de la personne concernée.

Dans les deux cas, le malade mis sous « tutelle » médicale verra sa liberté de parole, sa liberté de choix et sa capacité à décider pour soi-même entièrement bafouées. Le malade devient alors objet de soins écrasé sous le joug de l'expertise soignante érigée en vérité indiscutable.

En plus d'être vulnérable du fait de la maladie grave, le malade verra son autonomie, sa capacité à être un homme libre, disparaître progressivement sous la parole moralisatrice du soignant.

Ainsi se terminera la vie de celui qui aurait voulu rester maître de son destin et libre de décider de ses derniers instants. Ainsi se terminera la vie de celui qui demandait de l'aide et une main amie pour l'accompagner au terme de sa vie. Ainsi se terminera la vie de celui qui voulait rester digne jusqu'au bout. Ainsi se terminera sa vie dans la dernière humiliation de n'avoir été ni entendu ni respecté.

« Ne m'abandonnez pas, ne me laissez pas mourir comme un chien, aidez-moi ! » cette voix résonne encore aujourd'hui en moi.

Qu'ai-je fait pour cet homme ? Je l'ai mené là où il ne voulait pas aller. Je n'ai pas respecté sa volonté d'homme libre. J'ai pris le pouvoir sur sa fin de vie, sur sa liberté.

Ce pouvoir est légitimé par les moralisateurs de tous bords, par les bonimenteurs de l'éthique qui s'octroient le droit de décider à la place de l'Autre, par cet entre-soi satisfait qui se congratule et se claque une vigoureuse accolade sur l'épaule.

Cet homme est mort sédaté à son domicile dans cette agonie asphyxiante du cancer du poumon en phase terminale. Il est mort à 87 ans sous le regard terrifié de son épouse.

Il est mort comme il n'avait jamais souhaité mourir. Il a terminé sa vie comme jamais il n'a voulu vivre.

Il est mort ainsi parce que d'autres ont défini à sa place ce qu'était le « bien mourir », parce que d'autres lui ont volé sa dernière liberté, sa dernière dignité.

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