Un an tout juste après de la remise du rapport de la Commission de réflexion sur la fin de vie en France menée par le Pr D. Sicard, c'est il y a quelques jours qu'a été rendu le rapport d'une conférence citoyenne préconisée, entre temps, par le Ccne dans son avis n°121 de juillet dernier. Si les conclusions de ce débat semblent plaider en faveur d'une modification de la loi de 2005 en vigueur (dite Léonetti), comme annoncée par la Présidence de la République, la méthodologie employée suscite déjà quelques controverses portant sur la représentativité et la légitimité des 18 citoyens qui composèrent cette commission, tout autant que sur la rapidité de son déroulement sur 4 week-ends. (cf entre autres, le site de France 24 et celui du journal Le Monde)
Ces conclusions rendues le 16 décembre dernier suggéreraient donc "la légalisation du suicide médicalement assisté". Bien que cette commission se montre plus réservée sur la légalisation de l'euthanasie, elle lui ouvre cependant une brèche (déjà empruntée en son temps par le Ccne lui-même dans son avis n°63 de janvier 2000) en suggérant une "exception d'euthanasie" pour les cas où la personne concernée ne serait plus en mesure de s'exprimer.
Supposé apporter sa pierre à l'édifice à une amélioration de la loi Léonetti promise pour le printemps prochain, ce débat citoyen n'aurait-il pas gagné à se saisir de l'occasion pour clarifier, auprès des citoyens que nous sommes, les termes mêmes de ce débat qui, si l'on en croit encore les formulations tant médiatiques que statistiques ou politiques, restent pour le moins problématiques, pour ne pas dire vicieuses. Revenons ici sur certaines de ces formules qui, pour passer insidieusement dans le langage courant, n'en sont que plus préoccupantes alors même que tout le monde s'accorde au moins sur le fait que la question de fond que constitue la fin de vie est un problème complexe au carrefour de l'éthique, du légal, du médical, du sociétal, de l'anthropologique, du politique et de l'économique... L'on pourrait d'ailleurs s'étonner qu'après tant de réflexions déjà formulées sur ce sujet aussi majeur que délicat, ces confusions sémantiques et conceptuelles perdurent à ce point si ce n'était à considérer qu'elles puissent être au service d'une inflexion de l'opinion.
Que l'on nous permette en effet de nous interroger sur le dernier sondage Ifop réalisé en novembre pour le compte de l'Admd, amplement relaté dans la presse soulignant que 92% des sondés répondent favorablement à la question: "Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent?" Comme tous les précédents sondages du genre, pouvons-nous penser que le résultat serait le même en précisant un peu plus les enjeux d'une telle question? Plus encore, n'est-ce pas à la précision "sans souffrance" glissée dans la question que la majorité des sondés appelle de ses vœux les plus chers?
L'une des plus notables de ces "confusions", si tant est qu'il soit question de confusion et non d'imposture conceptuelle, réside dans l'emploi des qualificatifs "active" et "passive" adossés au mot euthanasie. Si l'on retient le sens d'euthanasie selon lequel ce terme désigne l'action de mettre un terme à la vie de quelqu'un, et que l'on précise que cette action inclut la notion d'intentionnalité, qualifier une euthanasie de "passive" s'avère être un non sens absolu. On met fin à la vie de quelqu'un ou non, et ce, quel qu'en soit le procédé! Or, nous ne pouvons comprendre de l'emploi de cette supposée "euthanasie passive", parfaitement oxymorique, qu'à en noter l'association régulièrement faite plus ou moins explicitement avec la démarche palliative. Relevons pour exemple, dans ce même article du Monde déjà cité plus haut, l'emploi de l'expression "euthanasie passive" attribuée à Nicolas Brouard, directeur de recherches à l'INED pour désigner le cadre de la Loi Léonetti! De l'opération d'assimilation des soins palliatifs à une forme d'euthanasie, fut-elle en l'occurrence passive, à la légitimation de l'euthanasie, l'on comprendra que le pas de la transgression morale devienne alors plus aisément franchissable. Or, il faut le redire ici haut et fort, il n'est d'euthanasie possible qu'active, c'est-à-dire mue par une intention de raccourcir la vie!
Cette clarification en appelle bien entendu d'autres. Parmi celle-ci, citons encore l'expression d'"accompagner à la mort" que l'on pourrait aisément là encore confondre avec celui d'"accompagnement palliatif" ou encore d' "accompagnement de la vie jusqu'au bout", ou d'"accompagnement du temps du mourir" (ici entendu comme temps de la vie à part entière.) Ces termes, dont la distinction peut paraître subtile, voire superflue, employés l'un pour l'autre sont de nature, là encore, à banaliser la portée symbolique de l'acte de tuer, fut-ce au nom de l'amour ou de la dignité sur laquelle nous reviendrons. Non, accompagner une personne confrontée au dernier chapitre de sa vie n'équivaut pas à l'accompagner à la mort! Ce serait de toute évidence occulter l'esprit et l'engagement de chaque professionnel dont le souci constant est de considérer cette personne comme un être vivant, comme un sujet, comme un citoyen, comme un semblable, et ce jusqu'à son dernier souffle. Pour le dire autrement, et au risque d'être accusé de jouer avec les mots, ce n'est pas sur la visée d'aider "à mourir" que les soins palliatifs s'étayent, mais bien sur celle d'aider à vivre jusqu'à la fin de la vie. Il faut bien reconnaître que la loi Léonetti fut elle-même, selon nous à tort, requalifiée d'un "droit au laisser mourir".
Si cela se voulait mettre en évidence le droit de chacun à refuser des traitements déraisonnables, ou plus anciennement l'acharnement thérapeutique, et valoriser ainsi l'importance des soins palliatifs, la notion de "laisser mourir" ajoute à l'ambiguïté sémantique que nous dénonçons pour au moins deux raisons. D'une part, du fait de sa résonance abandonnique ("laisser mourir"), bien sûr, qui n'est pas sans entretenir une certaine représentation de l'accompagnement palliatif ainsi réduit à une position purement attentiste. Aussi, parce qu'un tel signifiant alimente précisément la confusion dénoncée plus haut en conférant à l'expression d'euthanasie passive une forme de pertinence, tout en taxant les soins palliatifs d'hypocrisie ("laisser mourir" équivalant ici à ôter la vie en ne faisant rien...)
Terminons enfin cet essai de clarification en nous arrêtant sur la notion de dignité qui semble tout bonnement avoir été confisquée par le courant favorable à une légalisation de l'euthanasie en l'incluant dans son intitulé même (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). L'essence de l'idéologie en question s'articule autour de l'idée qu'au fond, il ne peut être de dignité qui ne soit celle de rester parfaitement intègre tant sur le plan physique que psychique jusqu'au bout, et que celle-ci ne peut trouver son fondement emblématique que dans la reconnaissance d'un droit à décider de sa mort (entendons là maîtriser la manière de mourir ainsi que son moment.) Il serait fort dommage et dommageable que cette conception, qu'il ne s'agit pas ici de juger, devienne insidieusement la norme au sens de faire fonction de référence unique qui risquerait dans un avenir, encore certes indéterminé, de conduire à l'exclusion ceux qui, n'auraient alors pas la décence de s'y soumettre au temps de leur propre fin de vie. La question mérite d'autant d'être soulevée que l'on connaît le coût de l'accompagnement palliatif pour justement assurer et défendre une autre forme de dignité à ceux qui vivent leurs derniers moments, notamment en ces temps où l'économique, et particulièrement en matière sanitaire, tend à rivaliser avec le souci éthique.
Puisse cette modeste contribution participer à soutenir la subtilité et la complexité d'un tel enjeu de société engageant l'avenir de notre rapport au mourir et donc à la vie, afin qu'il ne reste pas cantonné à une simpliste opposition idéologique manichéenne. Car si l'on peut être en plein accord avec le principe du choix démocratique, il est du droit de chacun d'être réellement et suffisamment bien "éclairé" sur les tenants et aboutissants qui orienteront de telles décisions.
Ces conclusions rendues le 16 décembre dernier suggéreraient donc "la légalisation du suicide médicalement assisté". Bien que cette commission se montre plus réservée sur la légalisation de l'euthanasie, elle lui ouvre cependant une brèche (déjà empruntée en son temps par le Ccne lui-même dans son avis n°63 de janvier 2000) en suggérant une "exception d'euthanasie" pour les cas où la personne concernée ne serait plus en mesure de s'exprimer.
Supposé apporter sa pierre à l'édifice à une amélioration de la loi Léonetti promise pour le printemps prochain, ce débat citoyen n'aurait-il pas gagné à se saisir de l'occasion pour clarifier, auprès des citoyens que nous sommes, les termes mêmes de ce débat qui, si l'on en croit encore les formulations tant médiatiques que statistiques ou politiques, restent pour le moins problématiques, pour ne pas dire vicieuses. Revenons ici sur certaines de ces formules qui, pour passer insidieusement dans le langage courant, n'en sont que plus préoccupantes alors même que tout le monde s'accorde au moins sur le fait que la question de fond que constitue la fin de vie est un problème complexe au carrefour de l'éthique, du légal, du médical, du sociétal, de l'anthropologique, du politique et de l'économique... L'on pourrait d'ailleurs s'étonner qu'après tant de réflexions déjà formulées sur ce sujet aussi majeur que délicat, ces confusions sémantiques et conceptuelles perdurent à ce point si ce n'était à considérer qu'elles puissent être au service d'une inflexion de l'opinion.
Que l'on nous permette en effet de nous interroger sur le dernier sondage Ifop réalisé en novembre pour le compte de l'Admd, amplement relaté dans la presse soulignant que 92% des sondés répondent favorablement à la question: "Selon vous, la loi française devrait-elle autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de ces personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent?" Comme tous les précédents sondages du genre, pouvons-nous penser que le résultat serait le même en précisant un peu plus les enjeux d'une telle question? Plus encore, n'est-ce pas à la précision "sans souffrance" glissée dans la question que la majorité des sondés appelle de ses vœux les plus chers?
L'une des plus notables de ces "confusions", si tant est qu'il soit question de confusion et non d'imposture conceptuelle, réside dans l'emploi des qualificatifs "active" et "passive" adossés au mot euthanasie. Si l'on retient le sens d'euthanasie selon lequel ce terme désigne l'action de mettre un terme à la vie de quelqu'un, et que l'on précise que cette action inclut la notion d'intentionnalité, qualifier une euthanasie de "passive" s'avère être un non sens absolu. On met fin à la vie de quelqu'un ou non, et ce, quel qu'en soit le procédé! Or, nous ne pouvons comprendre de l'emploi de cette supposée "euthanasie passive", parfaitement oxymorique, qu'à en noter l'association régulièrement faite plus ou moins explicitement avec la démarche palliative. Relevons pour exemple, dans ce même article du Monde déjà cité plus haut, l'emploi de l'expression "euthanasie passive" attribuée à Nicolas Brouard, directeur de recherches à l'INED pour désigner le cadre de la Loi Léonetti! De l'opération d'assimilation des soins palliatifs à une forme d'euthanasie, fut-elle en l'occurrence passive, à la légitimation de l'euthanasie, l'on comprendra que le pas de la transgression morale devienne alors plus aisément franchissable. Or, il faut le redire ici haut et fort, il n'est d'euthanasie possible qu'active, c'est-à-dire mue par une intention de raccourcir la vie!
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Cette clarification en appelle bien entendu d'autres. Parmi celle-ci, citons encore l'expression d'"accompagner à la mort" que l'on pourrait aisément là encore confondre avec celui d'"accompagnement palliatif" ou encore d' "accompagnement de la vie jusqu'au bout", ou d'"accompagnement du temps du mourir" (ici entendu comme temps de la vie à part entière.) Ces termes, dont la distinction peut paraître subtile, voire superflue, employés l'un pour l'autre sont de nature, là encore, à banaliser la portée symbolique de l'acte de tuer, fut-ce au nom de l'amour ou de la dignité sur laquelle nous reviendrons. Non, accompagner une personne confrontée au dernier chapitre de sa vie n'équivaut pas à l'accompagner à la mort! Ce serait de toute évidence occulter l'esprit et l'engagement de chaque professionnel dont le souci constant est de considérer cette personne comme un être vivant, comme un sujet, comme un citoyen, comme un semblable, et ce jusqu'à son dernier souffle. Pour le dire autrement, et au risque d'être accusé de jouer avec les mots, ce n'est pas sur la visée d'aider "à mourir" que les soins palliatifs s'étayent, mais bien sur celle d'aider à vivre jusqu'à la fin de la vie. Il faut bien reconnaître que la loi Léonetti fut elle-même, selon nous à tort, requalifiée d'un "droit au laisser mourir".
Si cela se voulait mettre en évidence le droit de chacun à refuser des traitements déraisonnables, ou plus anciennement l'acharnement thérapeutique, et valoriser ainsi l'importance des soins palliatifs, la notion de "laisser mourir" ajoute à l'ambiguïté sémantique que nous dénonçons pour au moins deux raisons. D'une part, du fait de sa résonance abandonnique ("laisser mourir"), bien sûr, qui n'est pas sans entretenir une certaine représentation de l'accompagnement palliatif ainsi réduit à une position purement attentiste. Aussi, parce qu'un tel signifiant alimente précisément la confusion dénoncée plus haut en conférant à l'expression d'euthanasie passive une forme de pertinence, tout en taxant les soins palliatifs d'hypocrisie ("laisser mourir" équivalant ici à ôter la vie en ne faisant rien...)
Terminons enfin cet essai de clarification en nous arrêtant sur la notion de dignité qui semble tout bonnement avoir été confisquée par le courant favorable à une légalisation de l'euthanasie en l'incluant dans son intitulé même (Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité). L'essence de l'idéologie en question s'articule autour de l'idée qu'au fond, il ne peut être de dignité qui ne soit celle de rester parfaitement intègre tant sur le plan physique que psychique jusqu'au bout, et que celle-ci ne peut trouver son fondement emblématique que dans la reconnaissance d'un droit à décider de sa mort (entendons là maîtriser la manière de mourir ainsi que son moment.) Il serait fort dommage et dommageable que cette conception, qu'il ne s'agit pas ici de juger, devienne insidieusement la norme au sens de faire fonction de référence unique qui risquerait dans un avenir, encore certes indéterminé, de conduire à l'exclusion ceux qui, n'auraient alors pas la décence de s'y soumettre au temps de leur propre fin de vie. La question mérite d'autant d'être soulevée que l'on connaît le coût de l'accompagnement palliatif pour justement assurer et défendre une autre forme de dignité à ceux qui vivent leurs derniers moments, notamment en ces temps où l'économique, et particulièrement en matière sanitaire, tend à rivaliser avec le souci éthique.
Puisse cette modeste contribution participer à soutenir la subtilité et la complexité d'un tel enjeu de société engageant l'avenir de notre rapport au mourir et donc à la vie, afin qu'il ne reste pas cantonné à une simpliste opposition idéologique manichéenne. Car si l'on peut être en plein accord avec le principe du choix démocratique, il est du droit de chacun d'être réellement et suffisamment bien "éclairé" sur les tenants et aboutissants qui orienteront de telles décisions.
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