EDUCATION - Et si les profs avaient leur part de responsabilité? Voilà ce qui ressort de certains témoignages de victimes de harcèlement scolaire. A l'image des parents de Marion, collégienne de 13 ans qui s'est suicidée en février 2013 après des mois de souffrance : "nous pensons que l’équipe éducative a failli à ses obligations et qu’elle est par conséquent responsable du suicide de Marion" affirmait l'avocat du couple, Me David Père, dans La Croix. Même accusation envers un instituteur et la directrice d'une école montpelliéraine pointés du doigt dans un cas d'harcèlement d'un jeune garçon en CM1 entre 2007 et 2008.
Des professeurs qui ferment les yeux sur les faits de harcèlement? Voilà certainement l'une des pires craintes des parents d'élèves. Dans le documentaire choc "Souffre-douleurs, ils se manifestent", diffusé mardi soir sur France 2, Andréa Rawlins-Gaston a notamment interrogé des professeurs et autres encadrants pour comprendre le manque de moyens des établissements.
Repérer, observer et orienter
Quelques jours plus tôt, Najat Vallaud Belkacem a présenté son plan anti-harcèlement à l’école. Pour la ministre de l’Education nationale, il faut "rompre le silence" et agir justement sur deux points : la formation des enseignants et la prise en charge des familles.
A priori, les mesures de la ministres vont dans le bon sens. Selon les documents officiels, les professeurs, comme les autres membres de la vie scolaire doivent être capables de repérer, d'écouter et d'orienter l'élève en souffrance vers le chef d'établissement. Or, sur le terrain, les professeurs interrogés ne se sentent pas armés pour répondre à ce genre de mission, selon les témoignages recueillis par Le HuffPost. "La plupart du temps, constate Emilie* professeur stagiaire d'histoire-géographie dans un collège de la région de Montpellier, il s'agit de problèmes larvés qu'on ne découvre que plus tard, au cours du conseil de classe par exemple."
Emilie profite pourtant de la réforme du CAPES et des nouveaux dispositifs de formation mis en place à la rentrée 2014 mais elle estime que sa génération "essuie encore les plâtres" et ne sera pas forcément plus apte à faire face au harcèlement scolaire que les précédentes. Cette nouvelle formation ne répond donc pas à ses attentes professionnelles. "Il nous faudrait une formation plus concrète pour mieux comprendre ce qui se joue dans ce genre de situations", affirme-t-elle. L'expérience ne semble pas forcément pallier la formation des professeur, Aurélie* professeur de français de 59 ans dans un collège difficile du Sud Est n'a pas l'impression de pouvoir pleinement remplir sa fonction d'observation : "Pendant la récréation, le déjeuner, c'est le CPE (Conseiller Principal d'Education NDLR) qui est dans la cour avec les élèves, il est le mieux placé pour observer les possibles problèmes de harcèlement au sein du collège".
Casser du gentil?
Pour ces deux professionnelles qui n'ont jamais eu à faire à des problèmes de harcèlement au sein de leurs classes, poser la question du rôle de l'enseignant dans le phénomène de harcèlement n'est pas facile. Cela rappelle cependant à Emilie un cours reçu au cours de sa formation :"Si l'on remarque qu'un élève commence à faire le show, à perturber les autres, certains formateurs nous ont conseillé d'essayer de s'en prendre à son public. S'il n'a plus de public, il se calmera de lui-même. Ainsi, en cassant la solidarité qui existe envers le meneur, on va parfois être un peu plus dur envers un autre élève qui a priori n'avait rien fait pour le bien du groupe".
Maria Pagoni-Andreani, professeur en Sciences de l'éducation à l'Université de Lille 3 et responsable d'une étude sur le harcèlement scolaire menée dans trois collèges de l'académie lilloise entre 2012 et 2014 reconnaît quant à elle plutôt le rôle primordial que les professeurs doivent jouer dans la prévention du harcèlement. "Il est important d'aider les élèves à différencier les différents langages utilisés pour caractériser les situations de harcèlement. Il y a le langage de la loi et de la sanction qui peut par exemple être utilisé par un référent de police, il y a aussi le langage des valeurs qui peut être utilisé en classe pendant un cours d'histoire, d'éducation civique ou de débat philosophique. Les enseignants jouent un rôle important dans la construction de la signification des valeurs qui sont concernées par les situations de harcèlement, comme le respect, l'altérité ou la justice".
Professeur + CPE + infirmière + surveillant +...
Au cours de ses recherches, Maria Pagoni-Andreani dont les travaux seront présentés mercredi 11 février, a aussi constaté que c'était les actions conjointes des CPE, infirmières, documentalistes et enseignants qui avaient le plus d'effet sur les élèves : "chacun de ces professionnels a sa vision des élèves, monter des actions communes permet de mieux croiser ces points de vue et construire un projet cohérent et claire pour les élèves". De cette façon, les élèves ne pensent plus que ces règles du bien-vivre ensemble n'ont plus lieu dans la cour de récréation ou dans les toilettes. Un avis que partage, Hélène*, 42 ans, CPE dans un collège difficile d'une grande agglomération de la région PACA. "Nous animons parfois avec des professeurs, la documentaliste et l'infirmière des heures de vie de classe où nous pouvons discuter de tout ça".
Grâce à une formation particulière sur "le climat scolaire" et après quinze ans de carrière, Hélène est certainement mieux formée pour repérer et agir sur ce genre de comportement : "dans la cour, les élèves viennent me parler, ils savent que nous avec les surveillants sommes là pour les écouter autant que pour assurer leur sécurité".
Le "tabou" des professeurs harceleurs?
Il y a aussi l'exception, celle du professeur harceleur. Un phénomène plus rare et bien moins documenté que le harcèlement entre élèves. En janvier 2012, peu de temps après que la campagne contre le harcèlement scolaire a été dévoilée, une enseignante a pris la parole dans une tribune publiée sur Le Plus pour dénoncer le fait que l'on ne s'intéressait pas au "vrai" problème, un phénomène qu'elle qualifiait de "tabou absolu". "Officiellement, écrit-elle, le prof harceleur n’existe pas. Il y a une vraie volonté d’étouffement de ce genre de problèmes. J’en ai vu des profs qui s’épanouissent joyeusement dans leur boulot depuis 15 ou 20 ans en pourrissant la vie de certains élèves, et qui ont été précédés par d’autres, tout aussi sereins dans leur façon d’enseigner, avec une conception très 'personnelle' des choses… Claques aux élèves, insultes, humiliations répétées, tout ça en totale impunité".
Une prise de position vivement critiquée puisque l'enseignante en question mettait dans le même temps en doute les chiffres avancés par le ministère (un élève sur dix victimes de harcèlement) et minimisait le harcèlement entre élèves à quelques moqueries qui pouvaient endurcir l'élève et l'aider dans sa vie future pour faire face aux difficultés. Malgré tout, était posée la question du professeur harceleur. A partir de quand un professeur dépasse-t-il ses fonctions et harcèle un élève? Preuve qu'il n'y a pas de volonté d'étouffement, en février 2013, un cas de ce genre a été par exemple signalé dans un établissement des Landes à l'encontre d'un professeur d'EPS soupçonné d'avoir humilié à plusieurs reprises des élèves.
Un sujet d'autant plus difficile à étudier que de plus en plus de professeurs se sentent seuls face à leur classe et en souffrance de ne pas voir leur parole entendue ni leur position soutenue par leur hiérarchie.
*Les prénoms ont été modifiés
Des professeurs qui ferment les yeux sur les faits de harcèlement? Voilà certainement l'une des pires craintes des parents d'élèves. Dans le documentaire choc "Souffre-douleurs, ils se manifestent", diffusé mardi soir sur France 2, Andréa Rawlins-Gaston a notamment interrogé des professeurs et autres encadrants pour comprendre le manque de moyens des établissements.
Repérer, observer et orienter
Quelques jours plus tôt, Najat Vallaud Belkacem a présenté son plan anti-harcèlement à l’école. Pour la ministre de l’Education nationale, il faut "rompre le silence" et agir justement sur deux points : la formation des enseignants et la prise en charge des familles.
A priori, les mesures de la ministres vont dans le bon sens. Selon les documents officiels, les professeurs, comme les autres membres de la vie scolaire doivent être capables de repérer, d'écouter et d'orienter l'élève en souffrance vers le chef d'établissement. Or, sur le terrain, les professeurs interrogés ne se sentent pas armés pour répondre à ce genre de mission, selon les témoignages recueillis par Le HuffPost. "La plupart du temps, constate Emilie* professeur stagiaire d'histoire-géographie dans un collège de la région de Montpellier, il s'agit de problèmes larvés qu'on ne découvre que plus tard, au cours du conseil de classe par exemple."
Emilie profite pourtant de la réforme du CAPES et des nouveaux dispositifs de formation mis en place à la rentrée 2014 mais elle estime que sa génération "essuie encore les plâtres" et ne sera pas forcément plus apte à faire face au harcèlement scolaire que les précédentes. Cette nouvelle formation ne répond donc pas à ses attentes professionnelles. "Il nous faudrait une formation plus concrète pour mieux comprendre ce qui se joue dans ce genre de situations", affirme-t-elle. L'expérience ne semble pas forcément pallier la formation des professeur, Aurélie* professeur de français de 59 ans dans un collège difficile du Sud Est n'a pas l'impression de pouvoir pleinement remplir sa fonction d'observation : "Pendant la récréation, le déjeuner, c'est le CPE (Conseiller Principal d'Education NDLR) qui est dans la cour avec les élèves, il est le mieux placé pour observer les possibles problèmes de harcèlement au sein du collège".
Casser du gentil?
Pour ces deux professionnelles qui n'ont jamais eu à faire à des problèmes de harcèlement au sein de leurs classes, poser la question du rôle de l'enseignant dans le phénomène de harcèlement n'est pas facile. Cela rappelle cependant à Emilie un cours reçu au cours de sa formation :"Si l'on remarque qu'un élève commence à faire le show, à perturber les autres, certains formateurs nous ont conseillé d'essayer de s'en prendre à son public. S'il n'a plus de public, il se calmera de lui-même. Ainsi, en cassant la solidarité qui existe envers le meneur, on va parfois être un peu plus dur envers un autre élève qui a priori n'avait rien fait pour le bien du groupe".
Maria Pagoni-Andreani, professeur en Sciences de l'éducation à l'Université de Lille 3 et responsable d'une étude sur le harcèlement scolaire menée dans trois collèges de l'académie lilloise entre 2012 et 2014 reconnaît quant à elle plutôt le rôle primordial que les professeurs doivent jouer dans la prévention du harcèlement. "Il est important d'aider les élèves à différencier les différents langages utilisés pour caractériser les situations de harcèlement. Il y a le langage de la loi et de la sanction qui peut par exemple être utilisé par un référent de police, il y a aussi le langage des valeurs qui peut être utilisé en classe pendant un cours d'histoire, d'éducation civique ou de débat philosophique. Les enseignants jouent un rôle important dans la construction de la signification des valeurs qui sont concernées par les situations de harcèlement, comme le respect, l'altérité ou la justice".
Professeur + CPE + infirmière + surveillant +...
Au cours de ses recherches, Maria Pagoni-Andreani dont les travaux seront présentés mercredi 11 février, a aussi constaté que c'était les actions conjointes des CPE, infirmières, documentalistes et enseignants qui avaient le plus d'effet sur les élèves : "chacun de ces professionnels a sa vision des élèves, monter des actions communes permet de mieux croiser ces points de vue et construire un projet cohérent et claire pour les élèves". De cette façon, les élèves ne pensent plus que ces règles du bien-vivre ensemble n'ont plus lieu dans la cour de récréation ou dans les toilettes. Un avis que partage, Hélène*, 42 ans, CPE dans un collège difficile d'une grande agglomération de la région PACA. "Nous animons parfois avec des professeurs, la documentaliste et l'infirmière des heures de vie de classe où nous pouvons discuter de tout ça".
Grâce à une formation particulière sur "le climat scolaire" et après quinze ans de carrière, Hélène est certainement mieux formée pour repérer et agir sur ce genre de comportement : "dans la cour, les élèves viennent me parler, ils savent que nous avec les surveillants sommes là pour les écouter autant que pour assurer leur sécurité".
Le "tabou" des professeurs harceleurs?
Il y a aussi l'exception, celle du professeur harceleur. Un phénomène plus rare et bien moins documenté que le harcèlement entre élèves. En janvier 2012, peu de temps après que la campagne contre le harcèlement scolaire a été dévoilée, une enseignante a pris la parole dans une tribune publiée sur Le Plus pour dénoncer le fait que l'on ne s'intéressait pas au "vrai" problème, un phénomène qu'elle qualifiait de "tabou absolu". "Officiellement, écrit-elle, le prof harceleur n’existe pas. Il y a une vraie volonté d’étouffement de ce genre de problèmes. J’en ai vu des profs qui s’épanouissent joyeusement dans leur boulot depuis 15 ou 20 ans en pourrissant la vie de certains élèves, et qui ont été précédés par d’autres, tout aussi sereins dans leur façon d’enseigner, avec une conception très 'personnelle' des choses… Claques aux élèves, insultes, humiliations répétées, tout ça en totale impunité".
Une prise de position vivement critiquée puisque l'enseignante en question mettait dans le même temps en doute les chiffres avancés par le ministère (un élève sur dix victimes de harcèlement) et minimisait le harcèlement entre élèves à quelques moqueries qui pouvaient endurcir l'élève et l'aider dans sa vie future pour faire face aux difficultés. Malgré tout, était posée la question du professeur harceleur. A partir de quand un professeur dépasse-t-il ses fonctions et harcèle un élève? Preuve qu'il n'y a pas de volonté d'étouffement, en février 2013, un cas de ce genre a été par exemple signalé dans un établissement des Landes à l'encontre d'un professeur d'EPS soupçonné d'avoir humilié à plusieurs reprises des élèves.
Un sujet d'autant plus difficile à étudier que de plus en plus de professeurs se sentent seuls face à leur classe et en souffrance de ne pas voir leur parole entendue ni leur position soutenue par leur hiérarchie.
*Les prénoms ont été modifiés
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