FÉMINISME - J'ai rencontré Élizabeth lors de l'installation de la commission "images de la diversité". Cette instance avait été créée par Jacques Chirac après les émeutes des banlieues de l'automne 2005.
Par cette commission, le président voulait rendre les écrans de télévision moins pâles. Élizabeth Tchoungui avait été choisie pour y siéger, j'en assurais le secrétariat général. Notre rencontre a tout de suite été évidente car elle avait du sens. Cette jeune journaliste à qui tout réussissait, entendait aller au-delà de sa propre réussite et de son confort. Très vite, sa maturité, son engagement, sa beauté aussi en firent une personne clef de la commission. En femme de culture, son regard aiguisé, sa capacité à anticiper l'impact des films, à débusquer le préjugé, sa liberté de ton aussi m'ont séduit. Depuis nous cheminons ensemble pour nous ouvrir à tous les imaginaires et la culture est pour nous un formidable accélérateur.
Voici le portrait d'Élizabeth, écrit par Ludovic Clerima, et publié dans le livre que j'ai dirigé, Marianne(S), les femmes et la diversité dans la République.
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Élizabeth Tchoungui. Photo de David Ignaszewski pour l'agence Kaboy.
"La constance finit toujours par payer"
"La chance naît avec le travail et la persévérance". Ce précepte, Élizabeth Tchoungui l'a constamment en tête. Même si cela n'a pas toujours été évident. Née aux États-Unis, elle passe une partie de son enfance à Yaoundé, au Cameroun. Et conserve un attachement sans faille à ce pays dont elle déplore la corruption à tous les niveaux.
À 10 ans, Élizabeth quitte l'Afrique pour la France afin d'y poursuivre ses études. Ici, la misère dans les grandes villes l'interpelle. "En Afrique, la solidarité n'est pas un vain mot. Je n'ai jamais compris comment on pouvait laisser des gens dormir dehors. Toutes ces personnes doivent avoir une famille? Qui peut dormir sur ses deux oreilles en sachant qu'il a un frère ou une cousine à la rue?" Intéressée un temps par l'architecture, la jeune fille finit par tout plaquer. Elle part six mois, fait le tour de l'Europe. À son retour, Élizabeth est décidée à travailler dans les médias.
Convaincue que la communication lui ouvrira toutes les portes, elle intègre le Celsa de Paris avant d'entamer des études de journalisme dans la prestigieuse école de Lille. "Quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que le journalisme était une évidence. Je n'étais pas du tout faite pour l'architecture. Je ne savais pas penser en trois dimensions. Alors que l'année de ma terminale, je me souviens d'avoir été fascinée par le pouvoir de la télévision. C'était au Cameroun. Les premiers postes venaient d'arriver. À l'époque, on consommait la télé à plusieurs. Les gens se retrouvaient chez les voisins, dans un bar ou en famille pour s'informer. J'ai tout de suite perçu le potentiel démocratique de cette machine."
"Un éléphant rose à pois verts"
Une fois diplômée, Élizabeth décroche un contrat avec TF1. Elle garde encore un souvenir mémorable de sa première rencontre avec ses futurs collègues. "J'ai atterri dans l'open space de la rédaction et, là, tous les regards se sont braqués sur moi. Je cumulais les handicaps. J'étais une jeune femme métisse. Sur le moment, j'avais plutôt l'impression d'être un éléphant rose à pois verts. C'est en entrant dans le monde du travail que j'ai vraiment pris conscience de ma couleur de peau. Avant, cela ne m'avait jamais frappée. C'est triste, car lorsqu'on vient de finir ses études, on est toujours plein d'entrain à l'idée d'intégrer ce monde." Ces "handicaps" ne l'empêcheront pas de se faire une place dans le "paysage audiovisuel français". Élisabeth conquiert un à un "les bastions" de l'information. "La constance finit toujours par payer." Elle devient la première femme africaine à présenter un journal télévisé d'information sur TV5 Monde.
Le Saint-Graal arrive en 2011 lorsqu'on lui propose le magazine culturel de France 2: "C'était mon objectif absolu". Élizabeth devient ainsi la première femme de l'histoire de la chaîne à animer cette case. Un succès qui ne l'empêche pas d'être consternée par le manque de diversité sur les écrans français.
D'après le dernier baromètre de la diversité, seules 12% des personnes vues à la télévision sont perçues par les spectateurs comme non-blanches. "Les chaînes privées sont en train de comprendre, petit à petit, que leur public n'est pas uniquement composé d'hommes blancs de plus de 50 ans. Canal + a été pionnière sur la question et propose, depuis les années 1990, des visages qui reflètent la France telle qu'elle est. Mais, dans le service public, la diversité est encore vécue comme une contrainte. Pire, depuis 2012, on régresse. Or, nos jeunes ont besoin de modèles pour se projeter. Il est urgent de recadrer les patrons de chaînes et d'inscrire véritablement la représentation de la diversité ethnique dans leur cahier des charges. Le gouvernement doit être moteur car malheureusement, aujourd'hui, pour beaucoup de dirigeants, la diversité est un non-sujet. Pendant ce temps, la patronne du CSA britannique, Sharon White, est une femme noire, d'origine jamaïcaine. L'aveuglement de nos élites sur ces questions est pire qu'anachronique, il est néfaste à l'avenir de notre pays dans un monde globalisé."
Modèle à suivre
Un plafond de verre s'installe dans l'esprit des plus jeunes. Pourquoi tenter de percer dans les médias puisqu'on ne s'y reconnaît pas ? "Je me souviens d'avoir fait un tournage près d'une cité. Une jeune beurette de 15 ans m'a dit qu'elle aimerait exercer ce métier, mais son prof de français le lui déconseillait fortement. Je pensais qu'elle avait de mauvaises notes dans cette matière. Elle était à 15 de moyenne. Ça me révolte qu'on puisse détruire les rêves des jeunes. Je pense à mes propres enfants. Je ne veux pas qu'ils subissent ce genre d'injustice".
Élizabeth Tchoungui, symbole de la diversité? "Tant mieux si certains me voient ainsi, mais c'est toujours difficile à endosser. La vie dans les médias est faite de hauts et de bas. On me voit comme un modèle, mais je suis moi-même dans une situation précaire. Je n'ai que peu de pouvoir à mon échelle."
Fière d'avoir su percer sans se compromettre, Élizabeth conjugue cette lutte pour la diversité et son engagement pour les droits des femmes. "Mes combats féministes sont venus avec la maternité. J'ai compris qu'il était difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale. Le sexisme de mes collaborateurs me sautait aux yeux. Le combat pour la diversité ne doit pas être séparé de celui des droits des femmes. Il s'agit de la même lutte. C'est ce que j'aime chez Les Marianne de la diversité. On a, d'une part, cette image féminine, Marianne, qui permet d'inscrire notre engagement dans la République. Et, d'autre part, la diversité. Les deux vont de pair, car elles s'attaquent au même stéréotype. Celui de l'homme blanc quinquagénaire".
Quant à sa part d'africanité, Élizabeth Tchoungui lui réserve la littérature. Nommée en 2009 chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres, elle livre dans chacun de ses ouvrages son regard sur le continent. "L'envie d'écrire a toujours été là. Des poèmes idiots rédigés plus jeune aux journaux intimes. J'exprime dans mes livres ce que je ne peux pas dire dans mon métier. Mais je pense que le prochain sera le dernier sur l'Afrique. J'y retourne peu ces derniers temps et, pour écrire, j'ai besoin d'être en immersion."
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Par cette commission, le président voulait rendre les écrans de télévision moins pâles. Élizabeth Tchoungui avait été choisie pour y siéger, j'en assurais le secrétariat général. Notre rencontre a tout de suite été évidente car elle avait du sens. Cette jeune journaliste à qui tout réussissait, entendait aller au-delà de sa propre réussite et de son confort. Très vite, sa maturité, son engagement, sa beauté aussi en firent une personne clef de la commission. En femme de culture, son regard aiguisé, sa capacité à anticiper l'impact des films, à débusquer le préjugé, sa liberté de ton aussi m'ont séduit. Depuis nous cheminons ensemble pour nous ouvrir à tous les imaginaires et la culture est pour nous un formidable accélérateur.
Voici le portrait d'Élizabeth, écrit par Ludovic Clerima, et publié dans le livre que j'ai dirigé, Marianne(S), les femmes et la diversité dans la République.

"La constance finit toujours par payer"
"La chance naît avec le travail et la persévérance". Ce précepte, Élizabeth Tchoungui l'a constamment en tête. Même si cela n'a pas toujours été évident. Née aux États-Unis, elle passe une partie de son enfance à Yaoundé, au Cameroun. Et conserve un attachement sans faille à ce pays dont elle déplore la corruption à tous les niveaux.
À 10 ans, Élizabeth quitte l'Afrique pour la France afin d'y poursuivre ses études. Ici, la misère dans les grandes villes l'interpelle. "En Afrique, la solidarité n'est pas un vain mot. Je n'ai jamais compris comment on pouvait laisser des gens dormir dehors. Toutes ces personnes doivent avoir une famille? Qui peut dormir sur ses deux oreilles en sachant qu'il a un frère ou une cousine à la rue?" Intéressée un temps par l'architecture, la jeune fille finit par tout plaquer. Elle part six mois, fait le tour de l'Europe. À son retour, Élizabeth est décidée à travailler dans les médias.
Convaincue que la communication lui ouvrira toutes les portes, elle intègre le Celsa de Paris avant d'entamer des études de journalisme dans la prestigieuse école de Lille. "Quand j'y repense aujourd'hui, je me dis que le journalisme était une évidence. Je n'étais pas du tout faite pour l'architecture. Je ne savais pas penser en trois dimensions. Alors que l'année de ma terminale, je me souviens d'avoir été fascinée par le pouvoir de la télévision. C'était au Cameroun. Les premiers postes venaient d'arriver. À l'époque, on consommait la télé à plusieurs. Les gens se retrouvaient chez les voisins, dans un bar ou en famille pour s'informer. J'ai tout de suite perçu le potentiel démocratique de cette machine."
"Un éléphant rose à pois verts"
Une fois diplômée, Élizabeth décroche un contrat avec TF1. Elle garde encore un souvenir mémorable de sa première rencontre avec ses futurs collègues. "J'ai atterri dans l'open space de la rédaction et, là, tous les regards se sont braqués sur moi. Je cumulais les handicaps. J'étais une jeune femme métisse. Sur le moment, j'avais plutôt l'impression d'être un éléphant rose à pois verts. C'est en entrant dans le monde du travail que j'ai vraiment pris conscience de ma couleur de peau. Avant, cela ne m'avait jamais frappée. C'est triste, car lorsqu'on vient de finir ses études, on est toujours plein d'entrain à l'idée d'intégrer ce monde." Ces "handicaps" ne l'empêcheront pas de se faire une place dans le "paysage audiovisuel français". Élisabeth conquiert un à un "les bastions" de l'information. "La constance finit toujours par payer." Elle devient la première femme africaine à présenter un journal télévisé d'information sur TV5 Monde.
Le Saint-Graal arrive en 2011 lorsqu'on lui propose le magazine culturel de France 2: "C'était mon objectif absolu". Élizabeth devient ainsi la première femme de l'histoire de la chaîne à animer cette case. Un succès qui ne l'empêche pas d'être consternée par le manque de diversité sur les écrans français.
D'après le dernier baromètre de la diversité, seules 12% des personnes vues à la télévision sont perçues par les spectateurs comme non-blanches. "Les chaînes privées sont en train de comprendre, petit à petit, que leur public n'est pas uniquement composé d'hommes blancs de plus de 50 ans. Canal + a été pionnière sur la question et propose, depuis les années 1990, des visages qui reflètent la France telle qu'elle est. Mais, dans le service public, la diversité est encore vécue comme une contrainte. Pire, depuis 2012, on régresse. Or, nos jeunes ont besoin de modèles pour se projeter. Il est urgent de recadrer les patrons de chaînes et d'inscrire véritablement la représentation de la diversité ethnique dans leur cahier des charges. Le gouvernement doit être moteur car malheureusement, aujourd'hui, pour beaucoup de dirigeants, la diversité est un non-sujet. Pendant ce temps, la patronne du CSA britannique, Sharon White, est une femme noire, d'origine jamaïcaine. L'aveuglement de nos élites sur ces questions est pire qu'anachronique, il est néfaste à l'avenir de notre pays dans un monde globalisé."
Modèle à suivre
Un plafond de verre s'installe dans l'esprit des plus jeunes. Pourquoi tenter de percer dans les médias puisqu'on ne s'y reconnaît pas ? "Je me souviens d'avoir fait un tournage près d'une cité. Une jeune beurette de 15 ans m'a dit qu'elle aimerait exercer ce métier, mais son prof de français le lui déconseillait fortement. Je pensais qu'elle avait de mauvaises notes dans cette matière. Elle était à 15 de moyenne. Ça me révolte qu'on puisse détruire les rêves des jeunes. Je pense à mes propres enfants. Je ne veux pas qu'ils subissent ce genre d'injustice".
Élizabeth Tchoungui, symbole de la diversité? "Tant mieux si certains me voient ainsi, mais c'est toujours difficile à endosser. La vie dans les médias est faite de hauts et de bas. On me voit comme un modèle, mais je suis moi-même dans une situation précaire. Je n'ai que peu de pouvoir à mon échelle."
Fière d'avoir su percer sans se compromettre, Élizabeth conjugue cette lutte pour la diversité et son engagement pour les droits des femmes. "Mes combats féministes sont venus avec la maternité. J'ai compris qu'il était difficile de concilier vie professionnelle et vie familiale. Le sexisme de mes collaborateurs me sautait aux yeux. Le combat pour la diversité ne doit pas être séparé de celui des droits des femmes. Il s'agit de la même lutte. C'est ce que j'aime chez Les Marianne de la diversité. On a, d'une part, cette image féminine, Marianne, qui permet d'inscrire notre engagement dans la République. Et, d'autre part, la diversité. Les deux vont de pair, car elles s'attaquent au même stéréotype. Celui de l'homme blanc quinquagénaire".
Quant à sa part d'africanité, Élizabeth Tchoungui lui réserve la littérature. Nommée en 2009 chevalier dans l'ordre des Arts et des Lettres, elle livre dans chacun de ses ouvrages son regard sur le continent. "L'envie d'écrire a toujours été là. Des poèmes idiots rédigés plus jeune aux journaux intimes. J'exprime dans mes livres ce que je ne peux pas dire dans mon métier. Mais je pense que le prochain sera le dernier sur l'Afrique. J'y retourne peu ces derniers temps et, pour écrire, j'ai besoin d'être en immersion."

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