ÉDUCATION - Tout occupés que nous sommes à sélectionner l'élite de l'élite, nous avons réussi à faire des écoliers français les élèves les plus angoissés de la planète, après les petits Japonais. Oppressés - autant que leurs parents dans l'entreprise -, nos enfants sont paralysés par le stress et l'inquiétude de ne pas réussir leur "mission". Réussir, c'est-à-dire courir plus vite que les autres et rester en tête du peloton. Jugés, triés, sélectionnés et dévalorisés, nos collégiens décrochent trop souvent, et s'ennuient beaucoup.
Un élève qui entre en maternelle en 2015 a toutes les chances de vivre jusqu'à l'aube du XXIIè siècle. Il aura à inventer un nouveau monde dont nous sommes bien loin d'imaginer les contours. Il appartient à une génération qui devra relever des défis gigantesques : écologiques, économiques, scientifiques, démocratiques... En attendant, les écoliers français ont surtout peur de se tromper (1). Car c'est chez nous qu'ils sont le plus durement notés s'ils ne répondent pas correctement à une question. "Pas de droit à l'erreur" dans la fabrique à inhibitions et à frilosités des citoyens de demain.
Combien de temps encore allons-nous assister impuissants à cette déperdition d'énergie et de potentiels ? Qu'est-il arrivé ces dernières décennies pour que les adultes, professeurs ou parents demandent aux enfants de n'être que "des meilleurs" dans cette course effrénée à l'excellence qui broie les moins armés et ne fortifient pas toujours les autres ? Quels genres d'adultes, tous ces d'enfants cabossés par l'école, vont-ils devenir ?
Personne ne semble heureux dans l'école française. Nous voilà tous, professeurs, élèves et parents, englués dans cette culture angoissée du résultat obligatoire en temps et en heure. Un circuit clos et anxiogène brassant beaucoup d'énergies négatives, chacun faisant peser sur l'autre la culpabilité de l'échec. À l'école, la grande compétition, machine à générer du stress et de la "peur d'échouer" bat son plein, dans un monde où on nous le répète tous les jours, il n'y aura de place que pour les mieux notés.
En France, on aime les notes, c'est républicain. Pour un élève français, avoir 9/20 ou 11/20 ne signifie pas du tout la même chose. Est-ce pourtant si différent ? Si un élève travaille bien, il mérite de bonnes notes, dans le cas inverse, c'est sa responsabilité, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. La moyenne fait loi. Un bon prof ne distribue pas trop de bonnes notes ; s'il le fait, c'est suspect. A la fin du collège, nous exigeons des résultats, sonnants et trébuchants. Les meilleurs ont le droit de fréquenter les lycées "côtés", les moins bons sont priés de circuler, de se regrouper entre eux. Plus d'espoir de faire progresser les adolescents "moins performants" si l'École se satisfait de n'être qu'une gare de triage.
Plus de deux élèves sur trois n'ont pas la moyenne en mathématiques au brevet, une note du ministère de l'éducation nationale publiée le 20 mars dernier nous l'apprend. Dans notre École discriminante par essence, échouer en mathématiques - la matière de sélection suprême, celle qui note l'intelligence, trie les paresseux des autres -, c'est échouer tout court. Et l'anxiété est encore plus forte face au problème de maths incompris chez les enfants issus de milieux modestes, dont les résultats sont du reste nettement inférieurs que ceux des enfants des beaux quartiers. Là où vivent les plus déshérités, loin des centres-villes et des officines de coaching scolaire, le moteur prend l'eau, la machine escomptant la bonne volonté et le courage de quelques enseignants, sauveteurs de l'extrême, pour colmater les brèches. De combien de mathématiciens, de philosophes, de musiciens, de scientifiques ou d'écrivains nous privons-nous avec ce système, trop vertical, qui carbure à l'exclusion et, au bout de la chaîne, finit par creuser toujours plus les injustices ?
Le système d'éducation parfait n'existe pas, nous cherchons encore la bonne manière de faire. Mais pendant que nous nous écharpons sur la pertinence du redoublement, le bien-fondé d'une notation "sans complaisance", que nous ergotons sur la légitimité d'une réforme du collège ou sur la couleur des uniformes dont nous rêvons d'affubler nos écoliers, pendant que nous enchainons les débats stériles qui envahissent à intervalles réguliers nos tribunes et paralysent l'action, la Finlande, considérée comme l'un des pays ayant le système scolaire et éducatif le plus efficace du monde, continue d'inventer d'autres scénarios pédagogiques. Elle est sur le point de réformer radicalement ses programmes scolaires et de mettre "le sujet" au cœur de son enseignement. Fini d'enseigner les mathématiques, la géographie ou l'histoire, chacun dans son cours, chacun dans son coin : l'enseignement deviendra transversal. Fini les élèves sagement assis à écouter leur professeur en attendant le prochain contrôle. Le système finlandais veut instaurer une approche plus collaborative, en organisant le travail en classe par petits groupes tout en améliorant les compétences de chacun.
Dans notre pays, l'École ne parle plus que d'"échec", de "classement", de "sélection", d'"inégalités" et de "stress", là où on aimerait entendre les mots de "gourmandise", d'"apprentissage", de "plaisir", d'"enthousiasme", d'"empathie", de "valorisation" et d'"égalité des chances".
On aimerait parvenir à se mettre d'accord au moins sur un objectif : que nos enfants, riches de talents quelles que soient leurs capacités ou leurs difficultés de vivre à l'extérieur, sortent de l'école rassurés, confiants, emplis de rêves, prêts à se jeter dans la bataille. On pourrait alors inscrire en lettres capitales sur le fronton de nos écoles : "Attention : chantier. Chef-d'œuvres en construction".
1. Programme international de recherche en lecture scolaire en CM1, note d'information n° 12.21, décembre 2012.
Vient de paraître: Comment ça va l'école?, de Francine Raymond. Prix : 18 €, 228 p. aux Éditions Don Quichotte.
Un élève qui entre en maternelle en 2015 a toutes les chances de vivre jusqu'à l'aube du XXIIè siècle. Il aura à inventer un nouveau monde dont nous sommes bien loin d'imaginer les contours. Il appartient à une génération qui devra relever des défis gigantesques : écologiques, économiques, scientifiques, démocratiques... En attendant, les écoliers français ont surtout peur de se tromper (1). Car c'est chez nous qu'ils sont le plus durement notés s'ils ne répondent pas correctement à une question. "Pas de droit à l'erreur" dans la fabrique à inhibitions et à frilosités des citoyens de demain.
Combien de temps encore allons-nous assister impuissants à cette déperdition d'énergie et de potentiels ? Qu'est-il arrivé ces dernières décennies pour que les adultes, professeurs ou parents demandent aux enfants de n'être que "des meilleurs" dans cette course effrénée à l'excellence qui broie les moins armés et ne fortifient pas toujours les autres ? Quels genres d'adultes, tous ces d'enfants cabossés par l'école, vont-ils devenir ?
Personne ne semble heureux dans l'école française. Nous voilà tous, professeurs, élèves et parents, englués dans cette culture angoissée du résultat obligatoire en temps et en heure. Un circuit clos et anxiogène brassant beaucoup d'énergies négatives, chacun faisant peser sur l'autre la culpabilité de l'échec. À l'école, la grande compétition, machine à générer du stress et de la "peur d'échouer" bat son plein, dans un monde où on nous le répète tous les jours, il n'y aura de place que pour les mieux notés.
En France, on aime les notes, c'est républicain. Pour un élève français, avoir 9/20 ou 11/20 ne signifie pas du tout la même chose. Est-ce pourtant si différent ? Si un élève travaille bien, il mérite de bonnes notes, dans le cas inverse, c'est sa responsabilité, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. La moyenne fait loi. Un bon prof ne distribue pas trop de bonnes notes ; s'il le fait, c'est suspect. A la fin du collège, nous exigeons des résultats, sonnants et trébuchants. Les meilleurs ont le droit de fréquenter les lycées "côtés", les moins bons sont priés de circuler, de se regrouper entre eux. Plus d'espoir de faire progresser les adolescents "moins performants" si l'École se satisfait de n'être qu'une gare de triage.
Plus de deux élèves sur trois n'ont pas la moyenne en mathématiques au brevet, une note du ministère de l'éducation nationale publiée le 20 mars dernier nous l'apprend. Dans notre École discriminante par essence, échouer en mathématiques - la matière de sélection suprême, celle qui note l'intelligence, trie les paresseux des autres -, c'est échouer tout court. Et l'anxiété est encore plus forte face au problème de maths incompris chez les enfants issus de milieux modestes, dont les résultats sont du reste nettement inférieurs que ceux des enfants des beaux quartiers. Là où vivent les plus déshérités, loin des centres-villes et des officines de coaching scolaire, le moteur prend l'eau, la machine escomptant la bonne volonté et le courage de quelques enseignants, sauveteurs de l'extrême, pour colmater les brèches. De combien de mathématiciens, de philosophes, de musiciens, de scientifiques ou d'écrivains nous privons-nous avec ce système, trop vertical, qui carbure à l'exclusion et, au bout de la chaîne, finit par creuser toujours plus les injustices ?
Le système d'éducation parfait n'existe pas, nous cherchons encore la bonne manière de faire. Mais pendant que nous nous écharpons sur la pertinence du redoublement, le bien-fondé d'une notation "sans complaisance", que nous ergotons sur la légitimité d'une réforme du collège ou sur la couleur des uniformes dont nous rêvons d'affubler nos écoliers, pendant que nous enchainons les débats stériles qui envahissent à intervalles réguliers nos tribunes et paralysent l'action, la Finlande, considérée comme l'un des pays ayant le système scolaire et éducatif le plus efficace du monde, continue d'inventer d'autres scénarios pédagogiques. Elle est sur le point de réformer radicalement ses programmes scolaires et de mettre "le sujet" au cœur de son enseignement. Fini d'enseigner les mathématiques, la géographie ou l'histoire, chacun dans son cours, chacun dans son coin : l'enseignement deviendra transversal. Fini les élèves sagement assis à écouter leur professeur en attendant le prochain contrôle. Le système finlandais veut instaurer une approche plus collaborative, en organisant le travail en classe par petits groupes tout en améliorant les compétences de chacun.
Dans notre pays, l'École ne parle plus que d'"échec", de "classement", de "sélection", d'"inégalités" et de "stress", là où on aimerait entendre les mots de "gourmandise", d'"apprentissage", de "plaisir", d'"enthousiasme", d'"empathie", de "valorisation" et d'"égalité des chances".
On aimerait parvenir à se mettre d'accord au moins sur un objectif : que nos enfants, riches de talents quelles que soient leurs capacités ou leurs difficultés de vivre à l'extérieur, sortent de l'école rassurés, confiants, emplis de rêves, prêts à se jeter dans la bataille. On pourrait alors inscrire en lettres capitales sur le fronton de nos écoles : "Attention : chantier. Chef-d'œuvres en construction".
1. Programme international de recherche en lecture scolaire en CM1, note d'information n° 12.21, décembre 2012.
Vient de paraître: Comment ça va l'école?, de Francine Raymond. Prix : 18 €, 228 p. aux Éditions Don Quichotte.
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