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La dépression n'est pas un facteur de risque de criminalité et les antidépresseurs sauvent plus qu'ils ne tuent

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SANTÉ - Nous assistons ces derniers jours à un véritable débat sociétal autour d'une tragédie hors du commun: un copilote de la compagnie aérienne Germanwings se serait délibérément donné la mort entrainant avec lui pas moins de 150 passagers. Il aurait présenté un état dépressif.

Ce débat est devenu le débat des patients souffrant de dépression qui se voient prescrire un traitement antidépresseur. Ce débat construit sur la diffusion de généralités en partant d'un exemple prend, dans la bouche de certains, une tournure proche d'idées eugénistes: dans une idéalisation de la société, les patients "dépressifs" seraient-ils indignes?

Ainsi, Bernard Debré semble ne plus être en mesure de raisonner en médecin, lorsqu'il s'exprime face aux journalistes. Nous sommes profondément choqués que les patients souffrant ou ayant souffert de dépression puissent être stigmatisés à ce point. Nous sommes profondément choqués que l'on puisse penser qu'une personne ayant présenté un épisode dépressif puisse être inapte à vie ou qu'elle puisse être considérée comme potentiellement criminelle.

M. Debré nous dit: "Ainsi, en 1989 à Louisville, Joseph Wesbecker a blessé vingt personnes, en a tué huit et s'est suicidé alors qu'il était sous fluoxétine (Prozac)". Avant de conclure que les antidépresseurs favorisent la criminalité et que les patients ayant un épisode dépressif et qui seraient sous antidépresseurs risquent de tuer des personnes.

Au-delà de l'évidence d'un raisonnement par l'absurde, les données scientifiques et la pratique quotidienne prouvent l'inverse. Tous les spécialistes ont l'expérience de voir comment un traitement antidépresseur bien conduit fait rapidement disparaître les idées suicidaires.

Les antidépresseurs aggravent-ils le risque suicidaire?

Il a été largement démontré que les antidépresseurs ont une efficacité contre le risque suicidaire. Un débat, maintenant ancien, sur les antidépresseurs portait sur un risque de "levée d'inhibition" motrice et donc de passage à l'acte suicidaire chez des patients qui présentent des idées suicidaires. Voire même, que les antidépresseurs donneraient des idées suicidaires. Une étude sur plus de 220.000 vétérans masculins présentant un épisode dépressif, montre que le risque suicidaire était diminué en rapport avec la prise de traitement antidépresseur. Ceci notamment grâce aux inhibiteurs de la recapture de la sérotonine incriminé par M. Debré. D'autres études montrent également ces mêmes rapports.

Deux remarques sont à faire: d'abord que les taux de suicides ont diminué depuis l'introduction des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. Ensuite, que lorsque la FDA (Food and Drug Administration) avait mis en garde les prescripteurs sur le risque suicidaire chez les moins de 25 ans, les prescriptions d'antidépresseurs avaient chuté et en rapport, une élévation du taux de suicide a été perçue.

Nous pouvons donc conclure que les antidépresseurs protègent du risque suicidaire. Une étude parue dans le prestigieux Journal of the American Medical Association (JAMA) en Juin 2014 a permis l'analyse rétrospective de 162.625 patients en épisodes dépressifs et qui recevaient un antidépresseur. Les données recueillies vont dans le sens de l'absence de risque suicidaire lié aux antidépresseurs chez les adultes entre 25 et 64 ans quelque soit la dose prescrite. Par contre, les auteurs notent que chez les plus jeunes une dose forte initiale pouvait effectivement aggraver ce risque.

Une autre analyse parue également dans le JAMA en 2007, décrivait que le bénéfice des traitements antidépresseurs attendu chez les patients les plus jeunes (moins de 19 ans) est supérieur au risque suicidaire. Comme ce débat est assez ancien nous disposons aussi de données anciennes : la toute première méta-analyse datant de 1991 et parue dans le British Medical Journal avait montré que les idées suicidaires étaient améliorées par le Prozac chez plus de 70% des patients, ce qui était bien supérieur au placebo. La littérature scientifique semble donc démontrer que les antidépresseurs protègent les patients du risque suicidaire.

Les antidépresseurs augmentent-ils l'impulsivité?

La question de l'impulsivité a été étayée par certaines études. Il apparait que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, et notamment le Prozac, sont de bons anti-impulsifs. Plusieurs études ont pu démontrer ce fait. Y compris des études contre placebo qui se sont intéressées au trouble explosif intermittent. Une étude datant de 2009 a d'ailleurs utilisé le Prozac comme traitement anti impulsif. Cette étude portait sur 100 personnes présentant un trouble explosif (agitation/agressivité) intermittent à qui l'on donnait soit du Prozac, soit un placebo. Les chercheurs ont observé après 2 semaines de traitement une nette diminution de l'impulsivité avec une rémission complète ou partielle de ce trouble chez 46% des sujets traités.

Par ailleurs, il est bien connu que les traitements inhibiteurs de la recapture de la sérotonine peuvent entrainer des apathies chez certains patients traités depuis longtemps. L'apathie est un syndrome dans lequel les patients ne souffrent pas psychiquement mais ont moins de comportements spontanés dirigés vers un but. Ils sont donc quasiment le contraire d'impulsif.

En somme, les antidépresseurs ont tendance à diminuer l'impulsivité. Notons que la dépression (la maladie que les antidépresseurs traitent) peut être par contre source d'impulsivité. Donc, le risque de ne pas traiter un patient est bien d'augmenter son impulsivité et le risque suicidaire et non pas l'inverse.

Les personnes ayant eu une dépression doivent-elles être considérée comme inaptes aux responsabilités?

Si l'on suit le discours de plusieurs médias, nous entendons que le copilote de l'avion dit "du crash de l'A320" aurait été en arrêt durant sa formation en raison d'une dépression et que cette dépression aurait dû être l'occasion d'arrêter la formation. Il paraît là aussi tout à fait injustifié de ne pas permettre à une personne de suivre une formation sous prétexte qu'il aurait été à un moment donné malade. Pour rappel, vie entière, 10 à 20% de la population présentera au moins un épisode dépressif. Un nombre important de personnes avec des responsabilités présentent des dépressions durant leur vie. Nous connaissons tous des personnes à hautes responsabilités à qui il est arrivé d'avoir un épisode dépressif, parfois même plusieurs. Ceci n'enlève rien à leurs grandes compétences.

En conclusion: nous soutenons les patients qui présentent des maladies de l'humeur dans la difficile stigmatisation qu'ils subissent ces derniers temps. Nous remercions les laboratoires et chercheurs en neuro-pharmacologie d'avoir mis à notre disposition et à celle des malades des médicaments qui sont à la fois efficaces et bien tolérés. Nous les utilisons chaque fois que nécessaire et percevons l'aide indéniable qu'ils apportent aux patients et plus largement à la société.

La dépression est source de handicap mais en aucun cas d'une augmentation de la criminalité. Les patients qui souffrent ou ont souffert de dépression ne sont pas inaptes au travail et peuvent tout à fait avoir des responsabilités. Les responsables nationaux devraient savoir éclairer leur discours en se référant aux spécialistes de la question. Leur parole compte pour beaucoup. La mesure est de rigueur.

Cette tribune est également signée par:


Dr Ovidiu Andrei, maison de santé de Merfy, Merfy
Dr Fayçal Bouazzaoui, centre hospitalier universitaire Robert Debré, Reims
Dr Julie Bourgin, service hospitalo-universitaire hôpital Sainte-Anne, Paris
Dr Christophe Coste, hôpital Sainte-Anne, Paris
Dr Pierre De Maricourt, service hospitalo-universitaire hôpital Sainte-Anne, Paris
Dr Fayçal Mouaffak, centre hospitalier universitaire de Bicêtre, Le Kremlin-bicêtre
Dr Dimitri Naaman, hôpital André Mignot, Versailles
Dr Michael Saada, hôpital de la conception, Marseille
Dr Yasmine Spitz, centre hospitalier le Vinatier à Lyon
Dr Ksenija Vucurovic, centre hospitalier universitaire Robert Debré, Reims


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