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Quand le don n'en est plus un

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SANTÉ - L'amendement récemment adopté dans le cadre de la loi santé et portant sur le don d'organes provenant de personnes décédées renforce la notion de consentement présumé. S'il n'est pas inscrit sur le registre des refus, un patient décédé éligible est dorénavant automatiquement donneur d'organes. Autrement dit, les familles des donneurs potentiels ne sont plus consultées mais simplement informées du prélèvement, et n'ont plus droit au chapitre.

Cette modification survient dans un contexte de course aux greffons, puisque des milliers de personnes en France sont en attente d'une greffe d'organe. Mais cet amendement montre avant tout la distance abyssale qui existe entre les instances qui régulent en imposant des lois et les personnes de terrain, qui sont au cœur de l'aventure humaine que représente le don d'organes. Que feront les équipes médicales, qui sont au front de jour comme de nuit, face au refus des proches? La relation doit-elle se transformer en bras de fer, et le prélèvement doit-il être vécu par les familles comme du pillage ou comme une profanation des corps? D'ailleurs, la question mérite d'être posée: quelle valeur donne-t-on à la dépouille d'un être aimé? A qui est le corps et qui en dispose? La médecine? L'Etat? La société? En tout cas, il devient illégitime de refuser qu'on touche à ses proches.

Comment dire à une famille éplorée qui s'oppose au don "nous allons prélever les poumons de votre père/les reins de votre sœur/le cœur de votre enfant, de gré ou de force", sans braquer des proches déjà profondément éprouvés? La violence engendrant la violence, la brutalité de cette loi provoquera des émeutes familiales devant la porte des services de réanimation.
Lorsqu'un patient est en état de mort encéphalique, l'acceptation du don se joue dans l'intimité des entretiens avec les familles. C'est la sincérité des rapports, l'écoute, le choix des mots, et la singularité de chaque histoire qui conduit à dire Oui. La loi rigide proposée par le gouvernement coupe ce dialogue délicat et laisse les proches endeuillés de côté. Il s'agit bel et bien d'un amendement inapplicable en pratique clinique.

Jean-Louis Touraine en rajoute et alimente le débat avec un tweet glaçant: "Avec cette loi, rien n'est retiré à la famille si ce n'est son droit à mentir". Une phrase choquante qui témoigne d'une méconnaissance ahurissante de l'expérience existentielle unique qu'est la mort d'un être cher. Accuser les familles de mentir et de décider à la place du mort, c'est isoler l'individu de sa communauté et ignorer les liens qui perdurent au delà de la mort. Cela revient à dire que le corps n'appartient qu'a celui qui l'habite, et qu'a partir du moment où on ne l'habite plus, il peut être instrumentalisé pour le bien de la collectivité. J-L Touraine va plus loin avec un argument paternaliste simpliste: "Cela permettrait aussi d'éviter beaucoup de souffrance aux familles qui sont très perturbées de devoir prendre une décision aussi difficile dans un contexte douloureux". Alors la loi tranche pour eux.

Chaque famille a une histoire privée et accepte la mort d'un des siens à son rythme. Le deuil est un cheminement fragile et complexe, surtout en cas de décès brutal. Cette loi fait fi de la souffrance des proches et engendre une violence psychologique inouïe. L'assurance maladie prendra-t-elle en charge les deuils pathologiques, les états de stress post-traumatiques ou les dépressions qui suivront? Quand le don est subi, quand il n'est plus sous tendu par la solidarité et la générosité, il n'a plus de sens. Transformer le don en obligation lui enlève toute la quintessence de sa beauté.

Le nombre de dons doit certes augmenter pour faire face à la pénurie de greffons, mais pas comme ça. Il y a de nombreuse façon de promouvoir le don, comme cette vidéo incitative et rafraichissante diffusée à l'occasion de la journée nationale de la greffe en 2013, "Don d'organes. Il suffit de le dire".

L'agence de Biomédecine doit continuer à expliquer, encourager et valoriser le don pour ce qu'il est: un cadeau que l'on fait, sans réserve, de façon gratuite, anonyme et librement consentie. Mais malgré le principe du consentement présumé, le don d'organes reste dans certains cas une décision qui se prend à plusieurs, au sein d'une médecine avant tout humaniste et éthique. Réparer les vivants, comme dans le joli livre de Maylis de Kerangal, Oui. Mais aussi préserver les vivants, ceux qui restent, qui ont du chagrin et qui décident parfois de dire Non.

Lire aussi :

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Ma thèse en 2 minutes : N°14 : le don d'organes par LeHuffPost

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