La Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) vient de rendre son arrêt dans l'affaire Vincent Lambert. Elle confirme la validité des procédures mises en œuvre.
Dans cette affaire, après ce jugement du 5 juin 2015, personne n'a gagné. D'une certaine manière, tout le monde a perdu. Quand la justice s'en mêle, on aurait tendance à croire qu'elle donne raison aux uns et tort aux autres. Or, nous parlons ici d'une personne humaine. Deux "points de vue" s'opposent, deux "camps" qui chacun s'exprime en lieu et place de Vincent Lambert. Difficile de réconcilier ceux qui ne veulent pas se concilier. Nulle solution n'est bonne. Il s'agit de mettre en œuvre la moins mauvaise si on considère l'état végétatif de Vincent Lambert, le caractère irréversible de ses lésions cérébrales, son incapacité à réagir aux stimulations -sinon d'une manière réflexe.
Laissez-moi mettre en avant cinq considérations.
Première considération: jamais cette affaire n'aurait du sortir au grand jour -le jour de la justice, des tribunaux, du droit et de l'appréciation des juges. Tout aurait dû se régler, comme dans toutes ces situations sensibles et quand le cadre réglementaire est respecté (et il l'est), dans le cercle familial, avec le corps médical et l'avis de celles des personnes habilitées à prendre part à une délibération commune. Nous aurions dû en rester, comme souvent, dans l'incertitude éthique et non dans l'application stricto sensu du droit positif. Et tout ce qui va dans le sens de la rationalité juridique, des "arguments", du droit des uns et des autres, va à l'encontre de cette délicatesse de l'accompagnement palliative de ces situations grisées, si délicates à dénouer. D'une manière générale, ces prises de décision ne sont jamais claires. Le droit encadre et doit laisser se déployer l'éthique des situations particulières et des appréciations singulières.
Seconde considération: nous ne pouvons que saluer tous les efforts faits depuis le 29 septembre 2008, date de l'accident de Vincent Lambert qui le fit devenir un tétraplégique entièrement dépendant et en état végétatif chronique. Faut-il rappeler les soins constants qui lui sont prodigués depuis cette date par les différentes équipes qui s'en sont occupées! Quant aux procédures de droit, au respect des parties, faut-il dire qu'avec l'arrêt de la CEDH, quatre tribunaux ont examiné l'affaire -avec le référé du 11 mai 2013, le jugement du tribunal administratif de janvier 2014, l'arrêt du conseil d'État du 24 juin 2014 et, pour finir, celui de la CDCH du 5 juin 2015! Faut-il redire qu'un grand nombre d'avis médicaux (plus d'une dizaine) furent demandés tout au long des procédures! Pour toutes ces raisons, les égards et les attentions prodiguées mettent en avant les gigantesques avancées à l'égard du droit des malades. Il faut surtout penser à toutes ces personnes qui, face à la mort, ne rencontrent pas toutes ces attentions. Le rapport Sicard indique que 300.000 personnes, chaque année, meurent mal en France.
Troisième considération: À entendre la mère de Vincent Lambert, on pourrait croire que les soins palliatifs (et en l'occurrence, le service du docteur Kariger -reconnu comme l'un des meilleurs de France- mettent en œuvre des procédures d'euthanasie. Or, depuis trente ans, le combat des soins palliatifs en France a consisté, justement, à redonner de la dignité aux patients en fin de vie, à les accompagner, à négocier avec eux les derniers moments. Avant d'émettre des critiques, il faut reconnaître l'humanité en situation des équipes palliatifs et le formidable travail fait par elles, avec courage, pour vaincre les résistances hospitalières. Dévouement, aussi, des nombreux bénévoles qui croient à la dignité des personnes jusqu'au bout. Dans cette affaire, il y a là un conflit de dignité qui laisserait à penser, à tort, que les équipes de soins palliatifs ne font pas un formidable travail de dignité.
Quatrième considération: Il existe une alliance objective (et contre nature) entre le combat de la mère de Vincent Lambert et le combat des partisans de l'Euthanasie. L'ADMD, qui mène ce dernier combat, se réjouit de cette affaire et ne cesse d'en conclure que "la loi Léonetti est obsolète", qu'elle ne respecte pas la volonté des patients et qu'il faut s'en passer. Des deux cotés, la "loi Léonetti" est critiquée au nom du droit du patient. Il faudrait que ce droit à l'auto-détermination soit plus respecté. Mais les deux parties n'entendent pas l'auto-détermination de la même manière. La mère de Vincent Lambert considère que la vie est totalement sacrée et sa fin non-négociable -sinon pour s'en remettre à la Nature. L'ADMD considère que la volonté de l'individu est toute-puissante et qu'il faut légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Le paradoxe est le suivant: au nom d'une conception sacrée de la vie, on risque de sacraliser l'autonomie de la volonté du patient -et ce jusqu'à l'euthanasie.
Cinquième considération: il s'agit-là d'un cas particulier, d'une situation singulière dont il ne faut ni extrapoler les conséquences ni gonflées l'enjeu. L'enjeu véritable de l'arrêt de la CEDH aurait été de considérer que le cadre législatif français actuel ("la loi Léonetti") devait s'aligner sur le droit européen qui est plus libéral, plus soucieux de l'autonomie, plus individualiste. (Un arrêt de la CEDH de 2011 -Hasse c. Suisse- indique clairement qu'un individu européen a le droit de décider quand et comment sa vie doit prendre fin.) Heureusement, il n'en fut rien! Cette loi de 2005, en cours de révision, est imparfaite comme toutes les lois, perfectible, mais elle est une digue contre toutes les dérives. Cette digue tient -et nous ne pouvons que nous en réjouir. Elle protège les gens fragiles, instaure une protection contre deux inhumanités: celle de l'euthanasie et celle d'une solution seulement médicamenteuse. Elle vise à accompagner, à promouvoir le soulagement de la douleur, à reconnaitre des droits aux malades, à limiter l'acharnement thérapeutique. Ses objectifs n'ont pas été parfaitement remplis. Mais, il ne faudrait pas qu'un cas particulier, aussi respectable soit-il, nous fasse perdre de vue l'exigence actuelle d'un renforcement massif des soins palliatifs, qui sera à l'ordre du jour d'un nouveau plan triennal d'ici la fin de l'année. Dans les hôpitaux, une "révolution culturelle" est indispensable. Le logiciel curatif des médecins doit changer pour faire une plus grande place aux exigences palliatives d'accompagnement des 550.000 personnes qui meurent chaque année en France.
En somme, et pour conclure, l'affaire Lambert, étalée sur la place publique, met en avant deux exigences. D'une part, la nécessité de repenser autrement les limites entre la vie et la mort. Autrefois, la Nature laissait la mort intervenir "naturellement". Mais, aujourd'hui, grâce aux immenses progrès de la médecine, il est possible de prolonger les malades, de les "maintenir artificiellement en vie" assez longtemps. Comment, dans ces conditions, repenser cette limite de plus en plus négociée? D'autre part, loin des certitudes absolues (nécessaires cependant), il s'agit, de plus en plus, de décider ensemble, de s'en remettre à une décision collective d'arrêt des traitements. Comment nous faut-il penser cet "arrêt" en évitant la violence du meurtre euthanasique, comme ce fut le cas pour le docteur Bonnemaison qui, par "compassion", tua sept de ses patients?
Penser les "limites" et "l'arrêt des traitement" conduit à une urgence trop négligée: développer à l'hôpital de vrais espaces d'éthique et former les médecins à une culture éthique qu'ils ignorent le plus souvent. Hors de l'éthique, point de salut.
Dans cette affaire, après ce jugement du 5 juin 2015, personne n'a gagné. D'une certaine manière, tout le monde a perdu. Quand la justice s'en mêle, on aurait tendance à croire qu'elle donne raison aux uns et tort aux autres. Or, nous parlons ici d'une personne humaine. Deux "points de vue" s'opposent, deux "camps" qui chacun s'exprime en lieu et place de Vincent Lambert. Difficile de réconcilier ceux qui ne veulent pas se concilier. Nulle solution n'est bonne. Il s'agit de mettre en œuvre la moins mauvaise si on considère l'état végétatif de Vincent Lambert, le caractère irréversible de ses lésions cérébrales, son incapacité à réagir aux stimulations -sinon d'une manière réflexe.
Laissez-moi mettre en avant cinq considérations.
Première considération: jamais cette affaire n'aurait du sortir au grand jour -le jour de la justice, des tribunaux, du droit et de l'appréciation des juges. Tout aurait dû se régler, comme dans toutes ces situations sensibles et quand le cadre réglementaire est respecté (et il l'est), dans le cercle familial, avec le corps médical et l'avis de celles des personnes habilitées à prendre part à une délibération commune. Nous aurions dû en rester, comme souvent, dans l'incertitude éthique et non dans l'application stricto sensu du droit positif. Et tout ce qui va dans le sens de la rationalité juridique, des "arguments", du droit des uns et des autres, va à l'encontre de cette délicatesse de l'accompagnement palliative de ces situations grisées, si délicates à dénouer. D'une manière générale, ces prises de décision ne sont jamais claires. Le droit encadre et doit laisser se déployer l'éthique des situations particulières et des appréciations singulières.
Seconde considération: nous ne pouvons que saluer tous les efforts faits depuis le 29 septembre 2008, date de l'accident de Vincent Lambert qui le fit devenir un tétraplégique entièrement dépendant et en état végétatif chronique. Faut-il rappeler les soins constants qui lui sont prodigués depuis cette date par les différentes équipes qui s'en sont occupées! Quant aux procédures de droit, au respect des parties, faut-il dire qu'avec l'arrêt de la CEDH, quatre tribunaux ont examiné l'affaire -avec le référé du 11 mai 2013, le jugement du tribunal administratif de janvier 2014, l'arrêt du conseil d'État du 24 juin 2014 et, pour finir, celui de la CDCH du 5 juin 2015! Faut-il redire qu'un grand nombre d'avis médicaux (plus d'une dizaine) furent demandés tout au long des procédures! Pour toutes ces raisons, les égards et les attentions prodiguées mettent en avant les gigantesques avancées à l'égard du droit des malades. Il faut surtout penser à toutes ces personnes qui, face à la mort, ne rencontrent pas toutes ces attentions. Le rapport Sicard indique que 300.000 personnes, chaque année, meurent mal en France.
Troisième considération: À entendre la mère de Vincent Lambert, on pourrait croire que les soins palliatifs (et en l'occurrence, le service du docteur Kariger -reconnu comme l'un des meilleurs de France- mettent en œuvre des procédures d'euthanasie. Or, depuis trente ans, le combat des soins palliatifs en France a consisté, justement, à redonner de la dignité aux patients en fin de vie, à les accompagner, à négocier avec eux les derniers moments. Avant d'émettre des critiques, il faut reconnaître l'humanité en situation des équipes palliatifs et le formidable travail fait par elles, avec courage, pour vaincre les résistances hospitalières. Dévouement, aussi, des nombreux bénévoles qui croient à la dignité des personnes jusqu'au bout. Dans cette affaire, il y a là un conflit de dignité qui laisserait à penser, à tort, que les équipes de soins palliatifs ne font pas un formidable travail de dignité.
Quatrième considération: Il existe une alliance objective (et contre nature) entre le combat de la mère de Vincent Lambert et le combat des partisans de l'Euthanasie. L'ADMD, qui mène ce dernier combat, se réjouit de cette affaire et ne cesse d'en conclure que "la loi Léonetti est obsolète", qu'elle ne respecte pas la volonté des patients et qu'il faut s'en passer. Des deux cotés, la "loi Léonetti" est critiquée au nom du droit du patient. Il faudrait que ce droit à l'auto-détermination soit plus respecté. Mais les deux parties n'entendent pas l'auto-détermination de la même manière. La mère de Vincent Lambert considère que la vie est totalement sacrée et sa fin non-négociable -sinon pour s'en remettre à la Nature. L'ADMD considère que la volonté de l'individu est toute-puissante et qu'il faut légaliser l'euthanasie et le suicide assisté. Le paradoxe est le suivant: au nom d'une conception sacrée de la vie, on risque de sacraliser l'autonomie de la volonté du patient -et ce jusqu'à l'euthanasie.
Cinquième considération: il s'agit-là d'un cas particulier, d'une situation singulière dont il ne faut ni extrapoler les conséquences ni gonflées l'enjeu. L'enjeu véritable de l'arrêt de la CEDH aurait été de considérer que le cadre législatif français actuel ("la loi Léonetti") devait s'aligner sur le droit européen qui est plus libéral, plus soucieux de l'autonomie, plus individualiste. (Un arrêt de la CEDH de 2011 -Hasse c. Suisse- indique clairement qu'un individu européen a le droit de décider quand et comment sa vie doit prendre fin.) Heureusement, il n'en fut rien! Cette loi de 2005, en cours de révision, est imparfaite comme toutes les lois, perfectible, mais elle est une digue contre toutes les dérives. Cette digue tient -et nous ne pouvons que nous en réjouir. Elle protège les gens fragiles, instaure une protection contre deux inhumanités: celle de l'euthanasie et celle d'une solution seulement médicamenteuse. Elle vise à accompagner, à promouvoir le soulagement de la douleur, à reconnaitre des droits aux malades, à limiter l'acharnement thérapeutique. Ses objectifs n'ont pas été parfaitement remplis. Mais, il ne faudrait pas qu'un cas particulier, aussi respectable soit-il, nous fasse perdre de vue l'exigence actuelle d'un renforcement massif des soins palliatifs, qui sera à l'ordre du jour d'un nouveau plan triennal d'ici la fin de l'année. Dans les hôpitaux, une "révolution culturelle" est indispensable. Le logiciel curatif des médecins doit changer pour faire une plus grande place aux exigences palliatives d'accompagnement des 550.000 personnes qui meurent chaque année en France.
En somme, et pour conclure, l'affaire Lambert, étalée sur la place publique, met en avant deux exigences. D'une part, la nécessité de repenser autrement les limites entre la vie et la mort. Autrefois, la Nature laissait la mort intervenir "naturellement". Mais, aujourd'hui, grâce aux immenses progrès de la médecine, il est possible de prolonger les malades, de les "maintenir artificiellement en vie" assez longtemps. Comment, dans ces conditions, repenser cette limite de plus en plus négociée? D'autre part, loin des certitudes absolues (nécessaires cependant), il s'agit, de plus en plus, de décider ensemble, de s'en remettre à une décision collective d'arrêt des traitements. Comment nous faut-il penser cet "arrêt" en évitant la violence du meurtre euthanasique, comme ce fut le cas pour le docteur Bonnemaison qui, par "compassion", tua sept de ses patients?
Penser les "limites" et "l'arrêt des traitement" conduit à une urgence trop négligée: développer à l'hôpital de vrais espaces d'éthique et former les médecins à une culture éthique qu'ils ignorent le plus souvent. Hors de l'éthique, point de salut.
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