La première édition du forum des chemins de pèlerinage se tiendra le samedi 20 juin à Paris. Il y sera notamment question de pérégrinations, d'hospitalité, de clous en bronze, de cinéma, de nouveaux chemins anciens, de destinations plus ou moins lointaines, et même de circumnavigations carrément exotiques. Bien évidemment, on y causera également du chemin de Compostelle sur lequel on pensait avoir tout écrit après les publications retentissantes d'Alix de Saint-André et de Jean-Christophe Rufin. C'était sans compter sur le désir d'émancipation d'un petit homme et sur mes drôles de rencontres.
Notre académicien aventurier conclut le récit de son Immortelle Randonnée par une invitation au départ et, comme je suis trop poli et que je ne sais pas refuser une invitation, après avoir refermé son livre je n'avais plus que deux idées en tête : trouver des bonnes godasses, un gros sac à dos, et essayer de découvrir à mon tour ce que signifie le mot « pèlerinage », de comprendre pourquoi ce Chemin aimantait tant de foules ardentes, ce qu'elles venaient y chercher et ce qu'elles y trouvaient finalement. Et je n'ai pas été déçu ! Maintenant, je peux le dire, ce Chemin a changé ma vie et c'est un peu à toi, Jean-Christophe Rufin, que je le dois (d'ailleurs, je t'ai envoyé le livre, quai de Conti, la seule adresse que je te connaisse, et j'espère qu'on te la bien fait passer*).
Je ne suis toujours pas certain de ce qu'est vraiment un pèlerinage. Pour la tradition chrétienne au moins, il constitue un déplacement physique effectué pas après pas, au prix de rudes efforts, vers des buts spirituels inatteignables autrement. En cheminant vers les lieux saints (Jérusalem...), les reliques (Compostelle, Rome...) ou les lieux propices aux miracles et aux apparitions (Lourdes, Guadalupe, Rocamadour...), le pèlerin espère traditionnellement se montrer digne de la miséricorde, de la guérison, et connaître la Vérité. Cependant, je ne ferai pas de grandes révélations en rappelant que l'holocauste a mis un terme à l'idée de l'omnipotence de l'intercession divine - Dieu ayant été incapable de l'empêcher. Ce renversement a radicalement modifié la motivation des pèlerins qui ajoutent souvent à leurs considérations spirituelles des desseins politiques, idéologiques (marcher et se faire des gros câlins pour la paix), voire conjugaux (« un grand voyage pour prendre le temps de se connaître, de construire notre couple », Mathilde Cortès, à propos du chemin parcouru à pied avec son compagnon entre Paris et Jérusalem en 2007). Ces différentes motivations s'additionnent sans s'exclure et si la part strictement religieuse n'est plus l'apanage que d'une minorité, la spiritualité continue de souffler dans le dos de chaque marcheur, même de ceux qui prétendent calfeutrer leur âme sous l'épaisse burqa du scepticisme. Les pèlerins de Compostelle, s'ils ne sont certainement pas toujours pratiquants (loin s'en faut !), restent cependant profondément marqués par les valeurs chrétiennes (l'amour, la joie, la générosité, l'honnêteté, le courage, etc.). Et souvent, après avoir atteint Santiago, la plupart continue le Chemin jusqu'au cap Finistère, l'Extrême-Occident, le bout de l'Eurasie, la fin du monde connu, où ils se recueillent volontiers devant les eaux sereines et spumeuses de l'océan, spectacle grandiose et palpable de la puissance des éléments qui ont, contrairement à l'Eglise, échappé au désenchantement.
Reste que Compostelle suscite toujours beaucoup de passions et de dédain. Le dédain de ceux qui y voient, non sans raison, un pèlerinage dévoyé par les masses de marcheurs qui s'y entassent et s'y cognent, et par le balisage et le confort qui diluent l'intimité et l'exceptionnel de cette aventure. La passion aussi de ceux qui en reviennent heureux et transfigurés, porteurs d'une joie sans souillure, une joie qui bien souvent est celle du renouveau. J'en suis revenu pas vraiment différent mais régénéré par mes drôles de rencontres et par l'effet discret et humble de la marche qui a essoré en moi les stigmates de la colère et de la tristesse. Pas seulement une « caminothérapie », Compostelle est un élan de joie, une invitation à faire et à aimer. Arrivé au terme de son voyage, le pèlerin disparaît et, quand il rentre chez lui, il est à nouveau ce quidam mais qui désormais déborde d'un bonheur simple et spontané. C'est alors le moment du renouveau, le retour à la vie sédentaire, mais avec joie, force et légèreté.
J'ai vu mardi soir en avant-première au cinéma des Halles la projection du film qui a tant fait polémique ces dernières semaines : « un Français », de Diastème. L'histoire d'un groupe de skinheads dont un des membres (Marco) se détache pour s'engager sur un chemin plus vertueux. Le film n'est pas inintéressant quoique loin d'être exempt de tous reproches, mais tel n'est pas mon propos. Une scène m'a particulièrement intéressé : lorsque Marco, entamant son chemin de repentance, se lance avec son père de substitution sur un sentier de randonnée. On le voit gravir une montagne en s'appuyant sur un bâton qui a tout d'un bourdon et, lorsqu'il atteint son sommet, il y est accueilli par une statue de la vierge. Ça n'est probablement pas un chemin de pèlerinage, mais ça y ressemble furieusement. La scène est courte mais symboliquement forte et les pèlerins de toutes confessions le savent bien : au prix de quelques efforts et de menus sacrifices, les pieds sont un instrument de choix pour parvenir à soulager son âme, si bien que c'est en voyageant que le marcheur écrit sa propre histoire, qui est celle d'une transformation.
Marco et moi avons en commun d'avoir pris la route pour nous remettre dans le sens de la marche. Car enfin, mieux que n'importe quelle autre méthode, deux jambes peuvent aider à sortir du morne cloaque où l'on se morfond, voire, si l'on insiste un peu, à nous révéler à nous-mêmes. Et je ne résiste pas, pour conclure, au plaisir de reprendre les mots du mystique persan Rûmi, cités par Marie-Edith Laval dans le récit de son pèlerinage à Shikoku :
Vous avez des ailes.
Apprenez à les utiliser et envolez-vous.
* Je serai en séance de dédicace 18 juin dès 18 heures à la librairie Magellan, 34, rue Ramey, et le 26 juin, à la Nuit blanche des livres.
Notre académicien aventurier conclut le récit de son Immortelle Randonnée par une invitation au départ et, comme je suis trop poli et que je ne sais pas refuser une invitation, après avoir refermé son livre je n'avais plus que deux idées en tête : trouver des bonnes godasses, un gros sac à dos, et essayer de découvrir à mon tour ce que signifie le mot « pèlerinage », de comprendre pourquoi ce Chemin aimantait tant de foules ardentes, ce qu'elles venaient y chercher et ce qu'elles y trouvaient finalement. Et je n'ai pas été déçu ! Maintenant, je peux le dire, ce Chemin a changé ma vie et c'est un peu à toi, Jean-Christophe Rufin, que je le dois (d'ailleurs, je t'ai envoyé le livre, quai de Conti, la seule adresse que je te connaisse, et j'espère qu'on te la bien fait passer*).
Je ne suis toujours pas certain de ce qu'est vraiment un pèlerinage. Pour la tradition chrétienne au moins, il constitue un déplacement physique effectué pas après pas, au prix de rudes efforts, vers des buts spirituels inatteignables autrement. En cheminant vers les lieux saints (Jérusalem...), les reliques (Compostelle, Rome...) ou les lieux propices aux miracles et aux apparitions (Lourdes, Guadalupe, Rocamadour...), le pèlerin espère traditionnellement se montrer digne de la miséricorde, de la guérison, et connaître la Vérité. Cependant, je ne ferai pas de grandes révélations en rappelant que l'holocauste a mis un terme à l'idée de l'omnipotence de l'intercession divine - Dieu ayant été incapable de l'empêcher. Ce renversement a radicalement modifié la motivation des pèlerins qui ajoutent souvent à leurs considérations spirituelles des desseins politiques, idéologiques (marcher et se faire des gros câlins pour la paix), voire conjugaux (« un grand voyage pour prendre le temps de se connaître, de construire notre couple », Mathilde Cortès, à propos du chemin parcouru à pied avec son compagnon entre Paris et Jérusalem en 2007). Ces différentes motivations s'additionnent sans s'exclure et si la part strictement religieuse n'est plus l'apanage que d'une minorité, la spiritualité continue de souffler dans le dos de chaque marcheur, même de ceux qui prétendent calfeutrer leur âme sous l'épaisse burqa du scepticisme. Les pèlerins de Compostelle, s'ils ne sont certainement pas toujours pratiquants (loin s'en faut !), restent cependant profondément marqués par les valeurs chrétiennes (l'amour, la joie, la générosité, l'honnêteté, le courage, etc.). Et souvent, après avoir atteint Santiago, la plupart continue le Chemin jusqu'au cap Finistère, l'Extrême-Occident, le bout de l'Eurasie, la fin du monde connu, où ils se recueillent volontiers devant les eaux sereines et spumeuses de l'océan, spectacle grandiose et palpable de la puissance des éléments qui ont, contrairement à l'Eglise, échappé au désenchantement.
Reste que Compostelle suscite toujours beaucoup de passions et de dédain. Le dédain de ceux qui y voient, non sans raison, un pèlerinage dévoyé par les masses de marcheurs qui s'y entassent et s'y cognent, et par le balisage et le confort qui diluent l'intimité et l'exceptionnel de cette aventure. La passion aussi de ceux qui en reviennent heureux et transfigurés, porteurs d'une joie sans souillure, une joie qui bien souvent est celle du renouveau. J'en suis revenu pas vraiment différent mais régénéré par mes drôles de rencontres et par l'effet discret et humble de la marche qui a essoré en moi les stigmates de la colère et de la tristesse. Pas seulement une « caminothérapie », Compostelle est un élan de joie, une invitation à faire et à aimer. Arrivé au terme de son voyage, le pèlerin disparaît et, quand il rentre chez lui, il est à nouveau ce quidam mais qui désormais déborde d'un bonheur simple et spontané. C'est alors le moment du renouveau, le retour à la vie sédentaire, mais avec joie, force et légèreté.
J'ai vu mardi soir en avant-première au cinéma des Halles la projection du film qui a tant fait polémique ces dernières semaines : « un Français », de Diastème. L'histoire d'un groupe de skinheads dont un des membres (Marco) se détache pour s'engager sur un chemin plus vertueux. Le film n'est pas inintéressant quoique loin d'être exempt de tous reproches, mais tel n'est pas mon propos. Une scène m'a particulièrement intéressé : lorsque Marco, entamant son chemin de repentance, se lance avec son père de substitution sur un sentier de randonnée. On le voit gravir une montagne en s'appuyant sur un bâton qui a tout d'un bourdon et, lorsqu'il atteint son sommet, il y est accueilli par une statue de la vierge. Ça n'est probablement pas un chemin de pèlerinage, mais ça y ressemble furieusement. La scène est courte mais symboliquement forte et les pèlerins de toutes confessions le savent bien : au prix de quelques efforts et de menus sacrifices, les pieds sont un instrument de choix pour parvenir à soulager son âme, si bien que c'est en voyageant que le marcheur écrit sa propre histoire, qui est celle d'une transformation.
Marco et moi avons en commun d'avoir pris la route pour nous remettre dans le sens de la marche. Car enfin, mieux que n'importe quelle autre méthode, deux jambes peuvent aider à sortir du morne cloaque où l'on se morfond, voire, si l'on insiste un peu, à nous révéler à nous-mêmes. Et je ne résiste pas, pour conclure, au plaisir de reprendre les mots du mystique persan Rûmi, cités par Marie-Edith Laval dans le récit de son pèlerinage à Shikoku :
Apprenez à les utiliser et envolez-vous.
* Je serai en séance de dédicace 18 juin dès 18 heures à la librairie Magellan, 34, rue Ramey, et le 26 juin, à la Nuit blanche des livres.
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