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La famine vient en mangeant

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ALIMENTATION - Je viens d'avoir un enfant. Il a deux mois. Ce n'est pas lui qui décide de ce qu'il mange. Pour le moment, il n'a pas le choix. Il est collé une fois à droite une fois à gauche. Alternativement d'un téton à l'autre de sa maman. Ce n'est pas la pire des expériences loin de là. A l'automne, il passera à la nourriture diversifiée, il ne choisira pas, nous continuerons à le faire pour lui. Mais comme la cuisine est quelque chose de naturel à la maison, nous pourrons lui sélectionner les ingrédients de ses premières purées et de ses compotes. Ensuite il apprendra à dire j'aime ou j'aime pas. Et puis un jour après tous les efforts que nous aurons fait il ira s'acheter un kebab et un Coca.

Mon fils a de la chance. Il est né dans un pays qui répartit encore à peu près les richesses. Sous des latitudes où la majorité de la population croit avoir le choix de son alimentation, où la plupart des adultes pensent pouvoir décider de ce qu'ils mettent dans leur assiette.

Dans un supermarché, il y a un super choix, dans un hypermarché un hyper choix. Quelle joie! Oui, quelle joie? Parce qu'en réalité, on peut se demander quelle est notre marge de liberté.

Asseyons-nous quelque temps devant un rayon de yaourt 20 mètres de linéaire, 5 étages de créativité lactée en pots plastiques. La "yaourtodiversité" n'a jamais été aussi impressionnante. Il y a plus d'espèces de yaourts qu'il ne reste d'espèces de papillons (si quelqu'un prouve le contraire il gagne un panier maxi garni de La Ruche qui dit Oui!). Un jour est même apparu un yaourt saveur tarte Tatin.

Pourtant, si l'on retourne les pots, si l'on soulève les emballages, la diversité en prend soudain un coup. Vous tomberez souvent sur le même fabricant. Une poignée de multinationales contrôlent cet oligopole (1); aux États-Unis, les cinq premières détiennent la moitié du marché. Vous tomberez souvent sur le même prix aussi. Quoique cela pourrait changer, car le cartel des produits laitiers, impliquant onze entreprises mondiales, vient d'être lourdement condamné pour entente illicite.

Et cette poignée de marques, elle utilise quoi comme ingrédients? Finalement toujours la même chose. Du lait, des cultures de bactéries vivantes, des fruits (généralement l'équivalent d'une demi-fraise pour un pot de yaourt), du sucre (beaucoup) mais aussi des émulsifiants, des conservateurs, des stabilisateurs, des arômes, et pourquoi pas du maïs (dans un supermarché américain, 3 produits sur 4 sont dérivés du maïs). Les recettes se suivent, se ressemblent, s'épient, se copient et reproduisent le même schéma, clonent le même yaourt, exigent le même type d'agriculture, la même vache: la Prim'Holstein, la noire et blanche des récits pour enfants, celle qui domine toutes ses congénères laitières.

Et cette seule espèce de vache qui produit la majorité du lait se nourrit des mêmes ingrédients cultivés industriellement, favorise la monoculture, la mécanisation intensive, la chimie. Résultat, les sols s'épuisent et perdent leur pouvoir magique: la fertilité. Les terres sont si pauvres aujourd'hui que le blé français ne peut plus être transformé en pain. Pour être panifiable, il lui faut contenir 13% de protéines, un taux que la monoculture industrielle céréalière n'arrive plus à produire. Alors, on ajoute des adjuvants à la farine. La législation autorise même jusqu'à 14 additifs supplémentaires.

Évidemment, l'histoire de notre yaourt n'est pas isolée. C'est le même scénario qui se reproduit dans tous les rayons des supermarchés, des nuggets aux paquets de céréales. Vous voulez un deuxième exemple? Pour être nourris, les poulets français sont dépendants du soja brésilien qui lui-même est négocié par une multinationale dont le chiffre d'affaires équivaut au PIB de la Hongrie. Cette culture accélère la déforestation illégale de l'Amazonie. Génère le départ de milliers de petits producteurs. D'après un rapport d'Oxfam, 90 % des emplois ont disparu avec l'apparition de la production de soja mécanisée.

Ces méthodes dérèglent l'ensemble de la chaîne alimentaire et entraînent des disparitions en pagaille. Adieu fertilité des sols, biodiversité, insectes pollinisateurs, agriculteurs, savoir-faire agricoles! Adieu agriculteurs, contraints sur une grande partie de la planète de s'entasser dans les bidonvilles à la périphérie des villes.

Ils ne sont pas nombreux pourtant à décider du cours de l'histoire... En 2005, les cent premières firmes multinationales réalisaient environ le tiers du chiffre d'affaires de l'industrie agro-alimentaire mondiale. Les 15 premiers, 19%. Notre système a accouché de compagnies qui ont un pouvoir inédit au niveau planétaire.

Quel pouvoir? En 2008, suite à la hausse du prix des matières premières agricoles, des émeutes de la faim se sont multipliées dans le monde entier. 100 millions de personnes ont sombré dans la pauvreté. Mais le malheur des uns n'entrave pas l'ambition des autres. Cette année-là, le premier négociant et fournisseur de matières premières alimentaires réalise la même année 120 milliards de dollars de profits, augmentant son chiffre d'affaires de 55 %. Ces entreprises, par l'intermédiaire de fonds spéculatifs, ont joué sur le cours des matières premières.(2)

En mangeant, nous donnons le pouvoir à des organisations qui affaiblissent dangereusement la solidité de notre chaîne alimentaire.

En mangeant, nous donnons le pouvoir à des entreprises qui ont le pouvoir de nous affamer.

Mais nous avons le choix. Pas entre un yaourt à la fraise et un yaourt à la framboise. Plutôt entre un yaourt issu d'un système qui dégénère l'ensemble nos modes de production et un yaourt vertueux, qui régénère notre façon de produire.

L'altérité s'organise, l'alternative se renforce. De Brest à Rio, des femmes et des hommes luttent pour préserver les sols, pour sauvegarder les espèces et le goût, pour nous nourrir avec dignité. Ce sont des agriculteurs, donnons-leur le pouvoir, ils sont encore là.

Amaps, marchés, ventes à la ferme, La Ruche qui dit Oui! : rejoignons ces systèmes alimentaires qui font pencher la balance du bon côté. Et régalons-nous!

Notes:

1. Une poignée de compagnies contrôle l'industrie alimentaire, Convergence Alimentaire: http://convergencealimentaire.info/

Voir aussi:
http://www.tuxboard.com/secteur-alimentaire/
http://www.revue-projet.com/articles/2008-6-les-multinationales-dans-le-systeme-alimentaire

2. http://www.momagri.org/FR/articles/Financiarisation-des-marches-agricoles-quels-impacts-sur-la-securite-alimentaire-mondiale-_1307.html


Lire aussi :

• Où est passé notre bon sens alimentaire?

• Ces 8 aliments ne sont pas si sains qu'on vous le dit...

• L'alimentation et les enfants: ces trucs et astuces qui marchent (ou pas)

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