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Interdiction des encres de tatouage: vers un véritable danger sanitaire

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Madame la Ministre,

C'est à la fois en tant que dermatologue, spécialiste des questions médicales liées à la pratique du tatouage depuis plusieurs années, membre de la Société Française de Dermatologie, de la Société Finlandaise de Dermatologie et de l'Académie Européenne de Dermatologie et de Vénérologie, ancien membre du groupe d'experts sur l'évaluation des risques des produits de tatouage à l'ANSM en 2010, et co-fondateur de l'ESTP (European Society of Tattoo and Pigment research), que je me permets de solliciter votre bienveillance en vous demandant d'intervenir sur une réglementation qui, pourtant fondée sur un principe de précaution, me parait à ce jour prématurée, disproportionnée, et avec vraisemblablement un effet inverse de celui escompté et des conséquences désastreuses sur la pratique du tatouage en France, en termes à la fois sanitaires et économiques.

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Je plaide depuis de nombreuses années pour une évolution des connaissances dans ce domaine et pour une collaboration avec les professionnels sur le terrain. En lien permanent avec les tatoueurs et leurs clients, j'ai ainsi pu publier à ce jour une cinquantaine d'articles scientifiques, ainsi que plusieurs articles dans la presse grand public, sur les questions de santé liés au tatouage.

Mon travail avec les professionnels du tatouage, notamment avec le Syndicat National des Artistes Tatoueurs en France, ainsi que dans plusieurs pays d'Europe, m'a démontré que la profession représentait un modèle de responsabilité sanitaire. L'exemple français est en ce sens incomparable : Le SNAT, fondé en 2003 et comptant aujourd'hui plus de 1100 membres professionnels, a non seulement milité pour une standardisation des règles d'hygiène mais a anticipé l'application de la réglementation sanitaire de 2008 en sensibilisant tous ses adhérents au strict respect de ces règles.

La profession doit également composer avec le tatouage clandestin, qui peut être exécuté par n'importe quelle personne s'improvisant tatoueur à son domicile ou se déplaçant chez les clients, et qui exercent avec des produits et matériels hors de tout contrôle, le plus souvent acquis par Internet. Il constitue à mon sens un vrai problème, non suffisamment pris en compte par les autorités.

Dans ce contexte, ma connaissance (à la fois de l'ensemble de littérature médicale et par mon expérience de terrain auprès des tatoueurs en France et en Finlande, mais aussi de clients et de patients tatoués) des risques liés au tatouage, me permet d'affirmer aujourd'hui que :

  • Les complications bactériennes et infectieuses en général restent rares. Les cas d'infections graves sont rarissimes, et dans tous les cas surviennent que si le tatouage n'a pas été pratiqué dans des conditions d'hygiène et d'asepsie stricte ou en cas d'absence de soins après tatouage.

  • Les allergies aux produits (qui nécessitent d'être mieux connues en lien direct avec les professionnels) restent bénignes dans une grande majorité des cas et rares en regard du nombre de tatouages réalisés chaque jour. Par définition, une "allergie" survient sur un terrain particulier propre à chaque individu. A l'heure actuelle, nous n'avons pas identifié précisément les composés responsables de telles réactions. De plus, nous ne pouvons prédire quelle personne réagira ou non à un composé d'une encre (hormis si cette dernière a déjà fait une réaction dans le passé). Il est donc illusoire d'espérer que la liste de produits interdits à ce jour aura une quelconque incidence sur le nombre de cas à venir. A mon sens, elle ne garantit en rien la sécurité que souhaitent les autorités françaises de santé.

  • L'association cancer/tatouage est absolument fortuite à ce jour (ce qu'a confirmé l'ANSM récemment dans les médias).

  • Les connaissances actuelles en terme de toxicologie sur les encres de tatouage sont basées quasi-exclusivement sur des modèles in vitro et sur des animaux. Elles sont en outre établies sur des modèles toxicologiques qui ne sont en rien celui du tatouage. Or, il n'est pas acceptable scientifiquement de recourir à ce type de raccourci: il est bien connu, en toxicologie, qu'un produit "toxique" dans une condition donnée ne l'est pas forcément dans un autre situation, d'autant que d'autres facteurs entrent en compte. Le tatouage constitue un modèle toxicologique particulier et même unique qui mérite d'être étudié et compris, avec l'établissement de tests toxicologiques appropriés visant à garantir la meilleure sécurité possible. Rien ne garantit ainsi que d'autres substances ne figurant pas dans le présent arrêté, et donc de fait autorisés (puisque non interdits) ne soient pas plus toxiques.


En l'état actuel des connaissances, il est absolument nécessaire de pouvoir travailler avec les tatoueurs et de bien différencier les pratiques professionnelles (qui assurent un haut niveau de sécurité sanitaire) et les pratiques "sauvages" (qui impliquent l'usage de produits et matériaux hors circuit professionnel et constituent possiblement une source de la majeure partie des complications).

La fondation, lors du 1er Congrès européen de recherche sur les tatouages des 13 et 14 novembre derniers à Copenhague, de la Société Européenne de recherche sur les tatouages et les pigments de tatouage (ESTP), soutenue à la fois par des médecins, des épidémiologistes, des toxicologues, des chimistes, mais également des fabricants d'encres et des tatoueurs, constitue une initiative extrêmement encourageante. La volonté des tatoueurs professionnels de travailler dans les meilleures conditions sanitaires avec des produits sûrs n'est plus à prouver.

L'arrêté du 6 mars 2003, pris sur décision de l'ANSM, invoque un principe de précaution mais ne dispose d'aucun fondement scientifique ou de preuve de risque avéré: l'Agence de Sécurité du Médicament exige des tatoueurs qu'ils prouvent l'innocuité des produits utilisés alors qu'on dispose ipso facto d'un certain recul sur cette innocuité, ne serait-ce que par l'absence de constat objectif de pathologie sur un grand nombre de tatoués depuis plusieurs années.

Je regrette d'ailleurs que l'arrêté du 6 mars 2013 n'ait pu faire l'objet d'une réflexion préalable en lien avec les professionnels, comme ils pouvaient le concevoir lorsque l'Afssaps a pour la dernière fois sollicité le SNAT, en 2010, en manifestant une réelle volonté de travailler en lien étroit avec les tatoueurs afin d'élaborer une réglementation adaptée, et en admettant alors avoir tout à apprendre sur le tatouage, l'utilisation des produits et le fonctionnement global du marché. A la suite d'une rencontre formelle dans les locaux de l'Afssaps le 4 juin 2010, le SNAT, malgré ses multiples relances, n'a malheureusement eu aucune nouvelle de l'Afssaps ou de l'ANSM sur le suivi de ce travail.

De fait, si le point 4° de l'arrêté du 6 mars 2003 est maintenu sans modification et entre en vigueur au 1er janvier 2014, malgré les requêtes argumentées et répétées du SNAT depuis la publication de ce texte, le ministère de la Santé et les administrations locales chargées des contrôles vont devoir faire face à une situation dramatique : Les fournisseurs français, qui assurent aujourd'hui une parfaite traçabilité des produits importés (aucune encre n'étant fabriqué à ce jour en France), validés par ailleurs en Europe, ne pourront vraisemblablement plus maintenir leur commerce après le 1er janvier 2014 puisque plus de 90% de leur catalogue se retrouve de fait invendable.

Quand bien même ils le pourraient, les tatoueurs français, privés de l'essentiel de leur matière première, se trouveront face à un choix critique :
  • Soit bannir la majeure partie de leurs couleurs de leurs étagères et effectuer exclusivement des travaux en noir, blanc, vert ou bleu (palette très limitée pour ces deux dernières couleurs) dans une période où les possibilités graphiques et artistiques doivent beaucoup aux évolutions des couleurs ;

  • Soit continuer à utiliser leurs couleurs habituelles, autorisées sur l'ensemble du territoire européen à l'exception de la France, et se trouver par conséquent en situation d'illégalité ;

  • Soit se déplacer hors de nos frontières pour réaliser des travaux en couleur dans n'importe quel pays de l'Union européenne.


Quel que soit le scénario, le territoire sera inévitablement inondé de produits vendus hors de l'Europe, non traçables et présentant eux un véritable danger sanitaire, sachant que les produits diffusés par Internet hors circuit professionnel contiennent eux des substances nocives en quantités réellement dangereuses. Le retour à la clandestinité, avec les répercussions aisément sue l'on connait déjà, accompagnera fatalement cette interdiction démesurée.

Bien qu'exerçant actuellement en Finlande, je travaille en permanence avec le SNAT, et envisage l'année à venir avec la plus grande inquiétude. Je suis convaincu qu'une démarche de bon sens, prenant acte de tous ces éléments, permettrait d'éviter le pire.

En termes précis, la seule mesure concrète pouvant enrayer selon moi cette crise avant le 1er janvier 2014 est de confirmer, par la publication d'un arrêté modificatif, l'interprétation initiale du SNAT, validée par la DGS le 5 avril 2013, puis rejetée par l'ANSM :

Le point 4° de l'arrêté du 6 mars 2013, renvoyant à l'arrêté du 6 février 2001 fixant la liste des substances qui ne peuvent entrer dans la composition des produits cosmétiques, présente 2 colonnes visant des produits "destinés à être appliqués à proximité des yeux" et ceux "en contact avec les muqueuses": Des situations qui ne concernent évidemment pas les encres destinées au tatouage artistique.

En clarifiant cette seule spécificité de l'arrêté, le texte ne concernerait plus qu'une part infime des encres couleur actuellement en usage, et permettrait ainsi d'envisager sereinement de faire évoluer la réglementation dans les mois et les années à venir en la fondant sur les données futures que professionnels et experts s'échinent à réunir au niveau européen.

Une décision finalement infime au regard des disproportions que représente le maintien de cette interdiction.

Je reste évidemment disposé à répondre à vos questions ou à celles de l'ANSM, et à accompagner le SNAT autant que nécessaire au sein d'un prochain groupe de travail à la DGS, auquel il semble indispensable que des représentants de l'ANSM participent.

Vous remerciant par avance pour l'intérêt que vous voudrez bien portez à ma lettre,

Veuillez agréer, Madame la Ministre, l'expression de ma très haute considération.

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