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Faire des enfants après Charlie Hebdo

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Mon dernier billet sur ce blog devait être publié la semaine dernière, jeudi ou vendredi. Les sujets étaient tous trouvés: "Mon bébé a-t-il une vie privée?", ou encore "Le top 5 des livres à ne pas lire avant d'être papa." Et puis Charlie Hebdo, les morts, l'attente, le rassemblement, ont jeté ces tentatives à des années lumières. Et puis encore Vincennes, les prises d'otages, les assauts et le dénouement, l'unité nationale, le débat politique et la vie, enfin, qui reprend finalement ses droits. Pas la force d'écrire, parmi cette destruction de destins individuels qui font chavirer une nation toute entière.

J'ai lu et entendu les témoignages des survivants de Charlie Hebdo, dont le journal a été décimé par l'attaque terroriste des fondamentalistes islamistes; et à qui l'on demandait s'ils allaient sortir un journal cette semaine. "Qu'est-ce que vous voulez qu'on fasse d'autre qu'être nous-mêmes?", s'est presque étonné Gérard Biard, le rédacteur en chef du journal. Quoi faire d'autre, c'est vrai, sinon continuer à écrire, dessiner et vivre. Pas tout à fait comme avant certes, mais vivre, pour ne pas sombrer.

Comme un symbole, c'est le moment qu'a choisi ma fille pour naître, samedi 10 janvier, deux semaines avant le terme initialement prévu. C'était le "jour d'après", entre les tueries et les manifestations, vers 2 h du matin. "Elle ne voulait pas naître vendredi, mais le jour suivant, tout simplement", a dit l'une des médecins, pour décrire l'attente provoquée par un "travail" interminable, du vendredi au samedi matin. Comme si notre fille nous incitait, elle aussi, à "choisir la vie." Comme si elle se dressait face à l'horreur d'un monde de dingues où tout vacille.

Lire aussi:

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Nous sommes donc partis à la maternité, dans la nuit de jeudi à vendredi, au son des évènements de Dammartin et de Vincennes. Jusqu'au dénouement final. Et notre fille qui ouvre les yeux pour la première fois devant l'absurdité du monde. Comment se concentrer sur son bonheur individuel quand le pays entier est entouré de malheurs? Comment se projeter et croire en l'avenir? Plusieurs fois, la sage-femme m'a incité à éteindre mon portable ou la radio qui grommelait dans un coin de la salle de naissance. L'actualité lointaine, et pourtant si proche de nous, restait tapie ici, comme si elle se rappelait à son mauvais souvenir, sans qu'on puisse faire autrement.

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Marche républicaine à Paris #JesuisCharlie (Crédit : Flickr/CC/Maya-Anaïs Yataghène)


Puis l'attente de notre fille a pris le dessus. Mais pendant un instant, ma compagne me confia sa crainte: "Quand j'observe tout ce qui se passe, je ne sais pas si j'ai vraiment envie qu'elle arrive..." L'expression est consacrée : on se demande souvent quel monde laisserons-nous à nos enfants. Cette fois, l'interrogation prenait tout son sens au cœur de la solidarité qui s'exprimait autour du slogan "Je suis Charlie." À la maternité, les personnels de l'hôpital, les mêmes donc qui m'incitaient à me concentrer sur la naissance de ma fillle, avaient collé sur leurs blouses des bouts de papier sur lesquels était inscrit "Je suis Charlie", au feutre noir. Quand l'histoire nous rattrape et nous en fout plein la gueule.

Choisir la vie


Soudain je me suis souvenu des débats interminables que j'avais pu avoir, il y a quelques années, avec de jeunes parents. Sur le ton de la blague, je disais souvent qu'il y avait trois grandes raisons pour lesquelles on faisait des enfants : pour qu'ils débarrassent la table après les repas, pour qu'ils nous appellent quand on est vieux et, enfin, pour qu'ils paient nos retraites et nos dettes après notre mort. En voyant ma fille dans les bras de ma compagne, je fus ramené à la réalité brutalement : pourquoi fait-on des enfants, vraiment ? On n'en sait rien, au fond. Pour soi, parce qu'on en a envie, pour le pays, par amour, par égoïsme ou par altruisme ?

À l'heure où certains Français juifs quittent la France - leur pays - parce qu'ils ont peur de l'antisémitisme, je me suis aussi souvenu qu'entre le nouvel an religieux et la fête de Yom Kippour, les juifs se souhaitent à eux et aux autres d'être inscrits dans "le livre de la Vie." Plus qu'un espace ou une sorte de paradis terrestre où tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes, cette phrase est d'abord un "retour" vers soi même, un choix de valeurs et d'actions, qui nous incite à réparer le monde dans lequel nous vivons, à le transformer, à l'améliorer ; et ainsi à s'améliorer soi même.

Comment ne pas penser à cette expression quand un enfant naît dans des circonstances aussi douloureuses que celles que nous vivons ? Comment ne pas voir la naissance comme un symbole, une contradiction, un vase communicant ? Tandis que certains cultivent la pulsion de mort décrite par Freud, la naissance apparaît alors comme un instinct de survie, un refus du fatalisme, face à un monde que certains disent voués à l'intolérance et à la violence. Je conviens qu'il y a une sorte d'optimisme théorique dans ce genre de formules ; et moi même j'ai bien du mal à y croire. Mais les évènements m'ont rattrapé.

Tout n'est pas perdu, la preuve. J'étais Place de la République mercredi dernier, le jour de l'attentat ; et ma fille est née trois jours plus tard. Cela m'est apparu comme une évidence. Malgré la souffrance, la douleur et le deuil, il faut se tourner vers la vie.

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