ÉDUCATION - Lorsque je prépare les cours pour mes étudiants, je me sens heureuse et je ressens un brin de fierté. Qui aurait pensé, il y a deux ans, lorsque j'ai commencé mes études en langue et culture hispaniques, que j'assurerais des cours à destination des étudiants de première et deuxième année de l'Université Ibn Zohr d'Agadir ? Après avoir obtenu mon diplôme d'études universitaires générales, mes professeurs m'ont proposé d'enseigner, ce que j'ai accepté avec une joie immense. Comment en suis-je arrivée là alors que rien ne m'y prédestinait ? C'est l'histoire que je voudrais vous raconter aujourd'hui, à l'occasion de la Journée internationale de la Femme.
Je suis née dans un petit village de la province de Tiznit, dans le Sud du Maroc. Ma mère est femme au foyer et mon père, qui a été militaire et qui a gagné ensuite sa vie en participant aux activités du village, ne travaillait déjà plus quand je finis mes études primaires à dix ans. Autoriser sa fille à fréquenter le collège et le lycée ne va pas de soi dans ma région natale. Les collèges sont souvent loin des villages, les routes peu sûres, la réussite scolaire aléatoire, les coûts de scolarisation pesants, de sorte qu'il semble moins risqué de préparer les filles à un mariage. Mais rester à la maison après avoir terminé mes études primaires était hors de question et mes parents soutenaient ma décision.
A cette époque, pour moi, la seule ouverture vers l'extérieur était la télévision. Durant les longues journées pendant lesquelles il ne se passait rien au village, je regardais les programmes étrangers, surtout ceux des chaînes espagnoles qui étaient plus faciles à capter. Les images d'autres vies qui semblaient pleines de possibilités ont pris possession de mon imagination et je me suis mise à rêver d'un ailleurs. Cet ailleurs, je l'ai senti se rapprocher miraculeusement lorsque les enseignants de notre école nous informèrent qu'une association parisienne encouragerait et soutiendrait la scolarisation de 200 collégiennes. Mes espoirs grandirent à l'idée de faire partie d'un groupe privilégié possédant un vélo pour aller au collège et de faire l'objet d'une attention particulière par mes enseignants et des gens venus d'Europe. J'étais décidée à profiter de cette chance.
J'ai dû cependant réaliser que ma demande n'avait pas aboutie le jour où je cherchai en vain mon nom sur les listes d'admission. Je combattis mon désespoir en m'accrochant à mon rêve tout en ressentant l'injustice. L'administration des écoles avait décidé que je ne serais pas capable de parcourir à vélo un trajet de huit kilomètres sous le soleil de plomb qui caractérise ma région pendant de longs mois. Mais comment pouvaient-ils juger de ma force de femme sans me connaître ?
Pour me consoler, mes parents ont voulu m'offrir un vélo. Mais d'instinct, je savais que le vélo ne pouvait avoir de valeur que s'il m'ouvrait une voie vers l'ailleurs, c'est-à-dire vers l'association parisienne qui promettait de nous suivre pendant plusieurs années. Je relevais le défi en me levant tous les jours à six heures du matin, en marchant trois kilomètres dans la nature aride vers la route principale pour prendre le bus vers le collège. Le soir je rentrais à la maison vers vingt heures, lorsqu'il faisait déjà nuit, aidais ma mère, car je suis la fille aînée, puis faisais mes devoirs avant de me coucher.
Epuisée au bout de quelques semaines, je retournai voir le directeur de mon école pour le supplier de me remettre un formulaire de candidature pour le projet « Un vélo pour elle ». Je me souviens de son sourire en coin qui ne laissait aucun espoir. Un jour, je fus pourtant convoquée pour apprendre que l'une des bénéficiaires quittait la région : c'était ma chance. L'émotion me fit sangloter de joie car je reçus un vélo avec des ailes.
J'étais la seule fille de mon village à fréquenter le collège. Les autres étaient cloitrées à la maison, la plupart sont maintenant mariées, certaines ont des enfants. Quand je leur raconte mes expériences d'enseignante, elles sont émerveillées. J'ai beaucoup travaillé pour obtenir mon baccalauréat en 2012. Le village a organisé une grande fête en mon honneur car j'étais la première villageoise à avoir été aussi loin. Depuis, de nombreuses jeunes filles du village fréquentent le lycée et j'en suis fière.
Comme mes notes de baccalauréat étaient suffisamment bonnes, j'ai été sélectionnée pour faire partie du projet suivant de l'association qui souhaitait mener jusqu'au bout son idée d'assurer l'indépendance économique des femmes. Dans le cadre du projet « Une carrière pour elle », qui est financé par la Fondation Elle et le Ministère allemand de la coopération internationale, je bénéficie d'une bourse d'études, de cours de langue et d'ateliers de développement personnel. J'ai une coach à laquelle je peux m'adresser à tout moment et j'ai aussi une mentor, qui est enseignante en France, que je rencontre sur Skype et qui me donne des conseils professionnels.
De plus, j'ai eu l'occasion de vivre une multitude d'expériences, notamment un stage de journalisme dans une radio et un voyage d'études à Berlin. J'ai failli manquer ces opportunités, dans le premier cas parce que je n'avais pas encore de connexion Internet, dans le second en raison des calendriers d'examen. Mais maintenant je sais que tout est possible. Avec l'appui de mes parents, de ma coach et de mes professeurs, j'ai eu l'autorisation de me présenter aux examens de rattrapage, ce qui m'a permis de découvrir Berlin, comme dans un rêve.
Depuis que je suis lectrice d'espagnol à l'université, j'ose penser à une carrière universitaire. Je souhaite pouvoir continuer à bénéficier de l'appui de l'association qui nous aide à naviguer dans le jeu complexe des institutions. Aujourd'hui, je dévore les livres plutôt que les bons plats de ma mère qui ne comprend pas le mystère du vélo. C'est la passion pour mon métier que j'ai découvert par ma passion pour la liberté.
Ce texte est issu du témoignage de Myriam Belaatik, lectrice d'espagnol à l'Université Ibn Zohr d'Agadir. Tous ses propos ont été recueillis lors d'une interview téléphonique le 25 février 2015. Pour la mise en texte, ils ont été complétés par des informations recueillies auprès des responsables du projet « Une carrière pour elle ». Le site de l'association Juste pour Eux.
Je suis née dans un petit village de la province de Tiznit, dans le Sud du Maroc. Ma mère est femme au foyer et mon père, qui a été militaire et qui a gagné ensuite sa vie en participant aux activités du village, ne travaillait déjà plus quand je finis mes études primaires à dix ans. Autoriser sa fille à fréquenter le collège et le lycée ne va pas de soi dans ma région natale. Les collèges sont souvent loin des villages, les routes peu sûres, la réussite scolaire aléatoire, les coûts de scolarisation pesants, de sorte qu'il semble moins risqué de préparer les filles à un mariage. Mais rester à la maison après avoir terminé mes études primaires était hors de question et mes parents soutenaient ma décision.
A cette époque, pour moi, la seule ouverture vers l'extérieur était la télévision. Durant les longues journées pendant lesquelles il ne se passait rien au village, je regardais les programmes étrangers, surtout ceux des chaînes espagnoles qui étaient plus faciles à capter. Les images d'autres vies qui semblaient pleines de possibilités ont pris possession de mon imagination et je me suis mise à rêver d'un ailleurs. Cet ailleurs, je l'ai senti se rapprocher miraculeusement lorsque les enseignants de notre école nous informèrent qu'une association parisienne encouragerait et soutiendrait la scolarisation de 200 collégiennes. Mes espoirs grandirent à l'idée de faire partie d'un groupe privilégié possédant un vélo pour aller au collège et de faire l'objet d'une attention particulière par mes enseignants et des gens venus d'Europe. J'étais décidée à profiter de cette chance.
J'ai dû cependant réaliser que ma demande n'avait pas aboutie le jour où je cherchai en vain mon nom sur les listes d'admission. Je combattis mon désespoir en m'accrochant à mon rêve tout en ressentant l'injustice. L'administration des écoles avait décidé que je ne serais pas capable de parcourir à vélo un trajet de huit kilomètres sous le soleil de plomb qui caractérise ma région pendant de longs mois. Mais comment pouvaient-ils juger de ma force de femme sans me connaître ?
Pour me consoler, mes parents ont voulu m'offrir un vélo. Mais d'instinct, je savais que le vélo ne pouvait avoir de valeur que s'il m'ouvrait une voie vers l'ailleurs, c'est-à-dire vers l'association parisienne qui promettait de nous suivre pendant plusieurs années. Je relevais le défi en me levant tous les jours à six heures du matin, en marchant trois kilomètres dans la nature aride vers la route principale pour prendre le bus vers le collège. Le soir je rentrais à la maison vers vingt heures, lorsqu'il faisait déjà nuit, aidais ma mère, car je suis la fille aînée, puis faisais mes devoirs avant de me coucher.
Epuisée au bout de quelques semaines, je retournai voir le directeur de mon école pour le supplier de me remettre un formulaire de candidature pour le projet « Un vélo pour elle ». Je me souviens de son sourire en coin qui ne laissait aucun espoir. Un jour, je fus pourtant convoquée pour apprendre que l'une des bénéficiaires quittait la région : c'était ma chance. L'émotion me fit sangloter de joie car je reçus un vélo avec des ailes.
J'étais la seule fille de mon village à fréquenter le collège. Les autres étaient cloitrées à la maison, la plupart sont maintenant mariées, certaines ont des enfants. Quand je leur raconte mes expériences d'enseignante, elles sont émerveillées. J'ai beaucoup travaillé pour obtenir mon baccalauréat en 2012. Le village a organisé une grande fête en mon honneur car j'étais la première villageoise à avoir été aussi loin. Depuis, de nombreuses jeunes filles du village fréquentent le lycée et j'en suis fière.
Comme mes notes de baccalauréat étaient suffisamment bonnes, j'ai été sélectionnée pour faire partie du projet suivant de l'association qui souhaitait mener jusqu'au bout son idée d'assurer l'indépendance économique des femmes. Dans le cadre du projet « Une carrière pour elle », qui est financé par la Fondation Elle et le Ministère allemand de la coopération internationale, je bénéficie d'une bourse d'études, de cours de langue et d'ateliers de développement personnel. J'ai une coach à laquelle je peux m'adresser à tout moment et j'ai aussi une mentor, qui est enseignante en France, que je rencontre sur Skype et qui me donne des conseils professionnels.
De plus, j'ai eu l'occasion de vivre une multitude d'expériences, notamment un stage de journalisme dans une radio et un voyage d'études à Berlin. J'ai failli manquer ces opportunités, dans le premier cas parce que je n'avais pas encore de connexion Internet, dans le second en raison des calendriers d'examen. Mais maintenant je sais que tout est possible. Avec l'appui de mes parents, de ma coach et de mes professeurs, j'ai eu l'autorisation de me présenter aux examens de rattrapage, ce qui m'a permis de découvrir Berlin, comme dans un rêve.
Depuis que je suis lectrice d'espagnol à l'université, j'ose penser à une carrière universitaire. Je souhaite pouvoir continuer à bénéficier de l'appui de l'association qui nous aide à naviguer dans le jeu complexe des institutions. Aujourd'hui, je dévore les livres plutôt que les bons plats de ma mère qui ne comprend pas le mystère du vélo. C'est la passion pour mon métier que j'ai découvert par ma passion pour la liberté.
Ce texte est issu du témoignage de Myriam Belaatik, lectrice d'espagnol à l'Université Ibn Zohr d'Agadir. Tous ses propos ont été recueillis lors d'une interview téléphonique le 25 février 2015. Pour la mise en texte, ils ont été complétés par des informations recueillies auprès des responsables du projet « Une carrière pour elle ». Le site de l'association Juste pour Eux.
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