Dans quelques jours, pour la première fois de ma vie, je vais plaider devant une cour d'assises.
L'homme que nous défendons avec mon maître, Christophe Bass, risque 30 ans de prison.
Je ne pense qu'à ça. J'y travaille jour et nuit. J'oscille entre angoisse et enthousiasme.
Il y a moins de 5 ans au même moment, quand arrivait la fin du mois de septembre, ce qui m'empêchait de dormir c'étaient les résultats financiers du 3ème trimestre de l'entreprise que je dirigeais, « l'atterrissage Q3 » comme on disait.
Et ce qui m'angoissait c'était l'écart éventuel par rapport aux prévisions, la réaction des analystes financiers, la préparation du budget de l'année suivante,...
Et il n'y avait plus grand chose qui m'enthousiasmait.
A 50 ans, après 25 ans dans l'entreprise dont plus de 10 ans dans des postes de direction générale, j'ai ressenti l'irrépressible besoin de vivre autre chose.
A la fois par lassitude d'une vie qui se répétait au rythme de ses figures imposées, mais aussi par angoisse de me retourner un jour en réalisant que j'avais toujours vécu dans le même monde, et qu'il était devenu trop tard pour changer de route.
Le 8 janvier 2014, à la veille de mes 55 ans, j'ai prêté serment et je suis devenu avocat pénaliste après plus de 4 ans d'études.
Quelques mois plus tard, je réalise à quel point il est enrichissant de passer d'un monde à l'autre.
D'un côté, on voit le nouveau monde avec des yeux différents ce qui permet de lui faire profiter de son expérience venue, au sens propre, « d'ailleurs ».
A titre d'exemple, pendant un de mes stages de la formation d'avocat, j'ai passé 6 mois avec des juges d'instructions et des procureurs à Paris et à Marseille. J'ai rédigé une partie de mon rapport de stage sur le fonctionnement interne de la justice tel que je l'avais perçu, et j'ai préconisé d'appliquer la méthodologie « Six Sigma » créée par General Electric pour améliorer l'efficacité du fonctionnement et réduire les délais de traitement des dossiers.
Mais l'échange est encore plus intéressant de l'autre côté : ma nouvelle vie m'a complètement réinventé.
Demain matin, comme presque toutes les semaines, j'irai à la prison des Baumettes. Demain je verrai deux détenus : l'un a déjà été condamné et je vais travailler avec lui sur l'aménagement de sa peine, l'autre est en détention provisoire et je vais préparer son procès.
Ce monde, je ne le connaissais pas. Et pourtant il nous dit tellement de choses sur notre société. Robert Badinter dans L'exécution, un des livres qui m'a donné envie de devenir avocat, écrit :
Demain, quand je sortirai du parloir avocat, j'aurai encore plein de questions : des interrogations générales qui me taraudent comme « à quoi sert la prison ? » et des interrogations personnelles comme « que serais-je devenu si j'avais eu la même enfance qu'eux ? ».
Le contraste entre ces deux vies donne à chacune un nouveau sens.
Et si on élargissait ?
Quand Emmanuel Macron a été nommé ministre de l'économie, j'étais enchanté. Un professionnel du monde bancaire donc connaissant parfaitement l'économie et la finance, pour remplacer un avocat devenu un homme politique très ambitieux... surtout pour lui-même. J'ai donc été sidéré par le procès en sorcellerie que l'on a fait à Emmanuel Macron pour ne pas être un pur produit du monde politique !
Mais c'est ce métissage privé-public, si fréquent dans beaucoup d'autres démocraties, qui est enrichissant pour une nation. Et il y a peu d'autres domaines que celui de la représentation publique où l'ancrage dans la vie quotidienne est nécessaire. C'est l'absence d'expérience de la vie civile qui devrait poser question pour un homme politique, pas l'inverse.
J'ai le sentiment qu'il est plus fréquent aujourd'hui qu'hier de changer de vie professionnelle, quelque fois par choix souvent par nécessité. Je suis convaincu qu'il faut encourager et valoriser ceux qui le font. C'est enrichissant pour chacun et c'est enrichissant pour la communauté.
Il est temps que je me remette sur mon dossier d'assises. Le procès s'ouvre le 29 septembre.
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L'homme que nous défendons avec mon maître, Christophe Bass, risque 30 ans de prison.
Je ne pense qu'à ça. J'y travaille jour et nuit. J'oscille entre angoisse et enthousiasme.
Il y a moins de 5 ans au même moment, quand arrivait la fin du mois de septembre, ce qui m'empêchait de dormir c'étaient les résultats financiers du 3ème trimestre de l'entreprise que je dirigeais, « l'atterrissage Q3 » comme on disait.
Et ce qui m'angoissait c'était l'écart éventuel par rapport aux prévisions, la réaction des analystes financiers, la préparation du budget de l'année suivante,...
Et il n'y avait plus grand chose qui m'enthousiasmait.
François Mazon est un membre contributeur du réseau TEDxParis et intervenant à L'Echappée Volée 2014. L'Echappée Volée et TEDxParis sont des événements édités par Michel Lévy-Provencal et l'agence Brightness. Retrouvez l'actualité des conférences sur brightness.fr.
A 50 ans, après 25 ans dans l'entreprise dont plus de 10 ans dans des postes de direction générale, j'ai ressenti l'irrépressible besoin de vivre autre chose.
A la fois par lassitude d'une vie qui se répétait au rythme de ses figures imposées, mais aussi par angoisse de me retourner un jour en réalisant que j'avais toujours vécu dans le même monde, et qu'il était devenu trop tard pour changer de route.
Le 8 janvier 2014, à la veille de mes 55 ans, j'ai prêté serment et je suis devenu avocat pénaliste après plus de 4 ans d'études.
Quelques mois plus tard, je réalise à quel point il est enrichissant de passer d'un monde à l'autre.
D'un côté, on voit le nouveau monde avec des yeux différents ce qui permet de lui faire profiter de son expérience venue, au sens propre, « d'ailleurs ».
A titre d'exemple, pendant un de mes stages de la formation d'avocat, j'ai passé 6 mois avec des juges d'instructions et des procureurs à Paris et à Marseille. J'ai rédigé une partie de mon rapport de stage sur le fonctionnement interne de la justice tel que je l'avais perçu, et j'ai préconisé d'appliquer la méthodologie « Six Sigma » créée par General Electric pour améliorer l'efficacité du fonctionnement et réduire les délais de traitement des dossiers.
Lire aussi:
Mais l'échange est encore plus intéressant de l'autre côté : ma nouvelle vie m'a complètement réinventé.
Demain matin, comme presque toutes les semaines, j'irai à la prison des Baumettes. Demain je verrai deux détenus : l'un a déjà été condamné et je vais travailler avec lui sur l'aménagement de sa peine, l'autre est en détention provisoire et je vais préparer son procès.
Ce monde, je ne le connaissais pas. Et pourtant il nous dit tellement de choses sur notre société. Robert Badinter dans L'exécution, un des livres qui m'a donné envie de devenir avocat, écrit :
Voir la justice à l'œuvre est pour moi, quand je ne suis pas acteur, un spectacle privilégié. L'on apprend plus sur un pays, sur une civilisation, sur ces hommes en voyant se dérouler l'éternelle tragi-comédie judiciaire qu'en tout autre lieu, serait-ce sur la place un jour de marché.
Demain, quand je sortirai du parloir avocat, j'aurai encore plein de questions : des interrogations générales qui me taraudent comme « à quoi sert la prison ? » et des interrogations personnelles comme « que serais-je devenu si j'avais eu la même enfance qu'eux ? ».
Le contraste entre ces deux vies donne à chacune un nouveau sens.
Et si on élargissait ?
- Pour être un bon avocat, faut-il avoir nécessairement commencé à la fin de ses études de droit ?
- Pour être un bon journaliste, faut-il n'avoir fait que ce métier ?
- Pour être un bon ministre ou député, faut-il avoir été toute sa vie dans la politique ?
Quand Emmanuel Macron a été nommé ministre de l'économie, j'étais enchanté. Un professionnel du monde bancaire donc connaissant parfaitement l'économie et la finance, pour remplacer un avocat devenu un homme politique très ambitieux... surtout pour lui-même. J'ai donc été sidéré par le procès en sorcellerie que l'on a fait à Emmanuel Macron pour ne pas être un pur produit du monde politique !
Mais c'est ce métissage privé-public, si fréquent dans beaucoup d'autres démocraties, qui est enrichissant pour une nation. Et il y a peu d'autres domaines que celui de la représentation publique où l'ancrage dans la vie quotidienne est nécessaire. C'est l'absence d'expérience de la vie civile qui devrait poser question pour un homme politique, pas l'inverse.
J'ai le sentiment qu'il est plus fréquent aujourd'hui qu'hier de changer de vie professionnelle, quelque fois par choix souvent par nécessité. Je suis convaincu qu'il faut encourager et valoriser ceux qui le font. C'est enrichissant pour chacun et c'est enrichissant pour la communauté.
Il est temps que je me remette sur mon dossier d'assises. Le procès s'ouvre le 29 septembre.
