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J'ai en charge le centre de Compétence de Neurogénétique et de Médecine Prédictive sur Lyon depuis une quinzaine d'années. C'est à ce titre que j'interviens dans la maladie de Huntington.
La médecine prédictive fait référence à tous les tests génétiques effectués à leur demande chez des personnes encore saines mais qui, de part leurs antécédents familiaux, présentent des risques d'être atteints un jour, d'une maladie héréditaire sévère de révélation tardive chez l'adulte telle que le Huntington.
Maladie de Huntington et importance de la génétique
La maladie de Huntington, hérédodégénéréscence progressive cérébrale, dont le gène a été identifié en 1993, comporte des mouvements anormaux invalidants et une détérioration des fonctions intellectuelles. Débutant en moyenne à 40 ans, elle évolue sur 10 à 15 ans vers une aggravation inexorable jusqu'au décès. Dominante autosomique, c'est-à-dire transgénérationnelle, un individu porteur de la mutation développera forcément la maladie et aura 50% de risques de la transmettre à ses enfants. Le caractère sévère et dramatique du Huntington est encore accru par l'aspect familial, l'atteinte de plusieurs générations dans une même famille et la projection que peuvent se faire les enfants de leur atteinte future en voyant l'évolution de leur parent.
Pour le Huntington, 20% seulement des personnes à risques sont demandeuses de connaître leur statut de porteuse ou non de la mutation familiale à l'avance, pour des raisons psychologiques faciles à comprendre. Elles sauront donc avec certitude si elles développeront la maladie un jour. L'annonce du résultat précèdera parfois de plusieurs dizaines d'années le début de la maladie, qui surviendra peut être à un moment où des évolutions thérapeutiques seront faites, sans garantie pour autant. Une longue réflexion des professionnels, médecins, juristes, philosophes, des associations de malades et des politiques, a abouti à l'élaboration de recommandations des comités d'éthique et à une législation. Ont été mises en place des équipes pluridisciplinaires comportant généticien, psychiatre, psychologue, neurologue, des protocoles permettant un temps de réflexion et d'anticipation par les demandeurs, des implications du test par les demandeurs, aboutissant à leur consentement éclairé.
Nous pourrons aborder toutes les étapes du diagnostic biologique d'une maladie génétique et leurs aspects légaux, éthiques et psychologiques, concernant tant l'annonce d'un diagnostic confirmatif chez une personne atteinte que la diffusion de l'information à la parentèle, maintenant légalement obligatoire, le conseil génétique des membres de la famille, débouchant parfois sur leur demande de test prédictif, voire d'un diagnostic anténatal ou d'un diagnostic préimplantatoire, qui constituent aussi un aspect de la médecine prédictive fœtale.
Mais c'est le test prédictif chez l'adulte que nous envisagerons et qui constitue la situation éthique et psychologique la mieux encadrée et la plus réfléchie.
Les questions éthiques autour du test prédictif
Les recommandations des Comités d'Éthique s'appuient sur quatre principes éthiques:
- Celui du respect de la personne et de son autonomie, qui sous entend que le demandeur soit majeur, volontaire, soumis à aucune pression, en pleine capacité de ses fonctions intellectuelles.
- Respect de la liberté du demandeur passant par un choix éclairé, informé, authentifié par la signature, de son consentement après une information objective et actualisée de la part des médecins et par sa compréhension de la maladie, de son pronostic, du test biologique, de ses limites, de son anticipation des implications psychologiques individuelles et familiales que pourraient avoir ce test.
- Principe de justice et d'égalité c'est-à-dire d'accessibilité du test à tout un chacun sans discrimination, sans partialité. Le principe de justice garantit aussi la confidentialité du résultat, le secret professionnel étant une ligne de conduite générale en médecine plus particulièrement acutisée dans le cadre de la médecine génétique impliquant non seulement un individu mais toute une famille.
- Principe de bénéficience ou de non maléficience avec le souci des médecins dans le cadre de cette médecine prédictive concernant des maladies ne bénéficiant d'aucune prévention, d'aucune thérapeutique curative, de ne pas nuire et au moins de soulager la souffrance psychologique quitte à accepter la demande de test si le doute devient obsessionnel ou si des choix de vie ou de procréation en dépendent.
L'ensemble de ces recommandations a abouti à l'élaboration d'un protocole avant et après le test, avec soutien d'une équipe médicale pluridisciplinaire intervenant avec humanité et empathie, tout en gardant une distance juste, dans le respect de la personne et de son vécu.
L'ensemble de ces recommandations ne nous permet pas de répondre aux questions plus fondamentales: "Est-il bénéfique de connaître à l'avance son statut? Quelle est la place du médecin dans cette médecine prédictive sans débouché thérapeutique? Quelles sont les frontières de la médecine?" C'est une longue réflexion mais au moins le protocole tente de répondre à la meilleure façon de pratiquer ces tests pour faire le moins mal possible, pour, éventuellement, être un garde fou à des conséquences psychologiques néfastes et à des réactions autodestructrices.
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Quelle éthique promouvoir vis-à-vis du patient?
Oracle ou médecin? Le respect du droit de savoir ne rentre-t-il pas souvent en conflit avec la responsabilité médicale de protection de l'individu y compris contre lui-même? Que dire de l'obligation légale d'information de la parentèle et du respect du droit de ne pas savoir?
Nous sommes dans une période intermédiaire des progrès de la génétique, qui ne permettent malheureusement pas encore des solutions thérapeutiques ou préventives mais qui permettent, en décalé, de plus en plus de diagnostics de certitude et une meilleure liberté de choix de l'individu notamment vis-à-vis de la procréation pour éviter la récidive dans une même famille déjà lourdement éprouvée d'une maladie sévère. Il faut cependant que ce choix qui est offert, ne soit pas destructeur et pour cela, que la personne soit accompagnée psychologiquement, dans sa réflexion, dans sa décision, dans l'annonce du résultat.
Cette liberté de choix passe par une information de la personne éclairée, objective, actualisée. Ces informations doivent être adaptées au cas par cas en fonction des difficultés et problèmes différents selon la maladie, l'évolution de la recherche, le vécu des familles.... L'enjeu est important. La situation ainsi créée, de moyens diagnostiques sans thérapeutique, est insatisfaisante et rend les décisions de médecine prédictive éthiquement difficiles.
La maladie génétique ne doit plus être un tabou, une fatalité, une honte sans pour autant banaliser le test prédictif puis le diagnostic anténatal et l'interruption médicale de grossesse. On envisagera les progrès incomplets de la génétique permettant des diagnostics et choix de vie, choix de procréation notamment, sans solution thérapeutique, avec espoir mais sans illusion.
La prédiction sort du champ strictement médical et pose les questions des frontières de la médecine. Cette réflexion éthique n'est certainement pas l'affaire que des médecins.
Elisabeth Ollagnon-Roman interviendra samedi 29 novembre à "Mode d'emploi", dans le cadre de la conférence intitulée "L'oracle et le médecin".
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