Un petit entretien avec Neva Parker - responsable des opérations de laboratoire chez White Labs - est l'occasion pour nous d'aborder un débat qui anime depuis de nombreuses années le monde agricole et qui va bientôt concerner celui de la bière: les OGM.
Nous évoquons avec Neva les travaux de recherche en cours chez White Labs sur le séquençage** de l'ADN de souches de levure. Ensuite nous élargirons sur les conséquences du développement de souches de levure OGM.
Quelles sont les perspectives du développement de levures OGM ?
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Bien sûr, les chercheurs et les brasseurs s'enthousiasment à l'idée de disposer de levures nouvelles. Les possibilités sont énormes: fermentations plus rapides, degré d'alcool plus élevé, production de goûts spécifiques...
On peut tout à fait imaginer qu'elles permettront l'émergence de nouveaux styles de bières ou un contrôle accru sur sa production pour le brasseur.
Mais passé ce premier engouement, de nombreuses questions surgissent et il est légitime de se demander quelle est la vraie motivation derrière le financement et développement de telles technologies.
Des OGM agricoles aux OGM brassicoles
Le parallèle avec le domaine de la semence agricole (maïs, blé...) est très instructif du fait qu'ils ont une bonne vingtaine d'années d'avance dans le développement et l'application de ces technologies. En effet, la recherche sur les grains OGM a toujours été - comme je viens de vous le montrer pour la levure OGM - justifiée par des arguments altruistes: développer des aliments plus gros, nutritifs, goûteux, résistants aux parasites... Mais au final, il s'est agi dans bien des cas d'un véritable cadeau empoisonné. On voit que les grands bénéficiaires sont un nombre réduit de corporations et surtout que ces bénéfices se font au détriment de nombreux agriculteurs et du consommateur. Ceux-là mêmes qui étaient sensés être les grands gagnants.
Ce sujet (des dérives liées aux OGM agricoles) est brillamment traité dans le documentaire "Le monde selon Monsanto" (lien youtube). Il montre par exemple, comment ces grains OGM ont permis à l'industrie de mettre sous leur contrôle des pans entiers de l'agriculture. On comprend ainsi l'intérêt des laboratoires commercialisant les levures à développer et maîtriser ces technologies. On imagine vite pourquoi ils auraient envie de développer, sous couvert de nombreux avantages, des levures brevetées qui par exemple ne pourraient pas fermenter plus que un brassin.
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Des brasseurs contre les levures OGM?
J'ai pu discuter de cela avec Chris White (le CEO de White Labs). Il explique qu'aujourd'hui la première raison pour laquelle les brasseurs ne veulent pas utiliser de levure OGM est la vision négative qu'en a le public (même aux USA, si si!). Ne sous estimons donc pas l'influence de nos choix en tant que brasseur et consommateur dans ce débat à venir.
L'avantage d'avoir du recul sur les problèmes liés aux OGM agricoles est qu'ils nous permettent d'anticiper les dérives potentielles des levures OGM et de rester vigilant. On voit que l'aventure commence de la même manière: on nous explique les nombreux avantages pour le brasseur et le consommateur. A nous - brasseurs et consommateurs - de surveiller leur évolution et leur utilisation.
D'un coté, les brasseurs feraient bien d'y réfléchir à deux fois lorsqu'on leur proposera une levure "miracle", quitte à imposer leurs conditions plutôt que l'inverse. Et le consommateur devra garder à l'esprit qu'en achetant ces produits, il sera peut-être en train d'encourager un système néfaste.
Et vous qu'en pensez-vous ? Seriez-vous prêt à utiliser une levure miracle qui réduirait par deux votre temps de fermentation ? Craindriez-vous que le modèle d'emprisonnement agricole se reproduise sur le modèle brassicole ?
Nous évoquons avec Neva les travaux de recherche en cours chez White Labs sur le séquençage** de l'ADN de souches de levure. Ensuite nous élargirons sur les conséquences du développement de souches de levure OGM.
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Neva, pouvez vous présenter les projets de recherche en cours à White Labs?
"White Labs a eu l'opportunité de collaborer avec Illumina et Yonder Biology pour séquencer l'ADN de 96 souches de levure du brasseur. On a commencé à travailler avec Yonder pour faire de « l'art ADN » pour notre salle de dégustation (pour lequel on extrait de l'ADN via un gel et on le transforme en art). Puis nous sommes rentrés en contact avec Illumina grâce à des brasseurs amateurs locaux.
Ils développaient un appareil de séquençage haut-débit qu'ils avaient besoin de tester, et cherchaient un collaborateur disposant de nombreux échantillons. Le projet était né."
Quel est le but de votre étude sur le génome de ces levures?
"Nous savons depuis longtemps que les diverses souches de levure utilisées pour faire de la bière sont très différentes, se comportent différemment. Et bien que l'on puisse voir ce qu'il se passe lors de la fermentation, on ne sait pas comment cela se passe. Un des buts du "genome project" est d'essayer de comprendre les mécanismes de contrôle derrière ces différences. Nous essayons de trouver quel gène contrôle quel aspect de la levure et explique vraiment ce qu'elle fait. Ceci nous permettrait d'isoler ces gènes en combinant l'information du séquençage avec les nombreux essais de fermentation que nous avons réalisé par le passé."
Avez-vous des résultats préliminaires que vous pouvez présenter?
On est toujours en attente des résultats finaux. Le génome de la levure est très grand et il y a beaucoup de souches, les bio-informaticiens sont toujours en train d'y travailler. Pour l'instant tout ce que nous pouvons voir sont des relations amusantes entre les souches et leur origine.
Peut-on imaginer que ces recherches déboucheront sur le développement de souches génétiquement modifiées pour lesquelles on pourrait contrôler des paramètres comme la floculation ou la production d'esters?
"Bien sûr. Mais le gros problème pour atteindre ce but sera de comprendre comment influencer un paramètre, en influence d'autres..."
Quelles sont les perspectives du développement de levures OGM ?

Bien sûr, les chercheurs et les brasseurs s'enthousiasment à l'idée de disposer de levures nouvelles. Les possibilités sont énormes: fermentations plus rapides, degré d'alcool plus élevé, production de goûts spécifiques...
On peut tout à fait imaginer qu'elles permettront l'émergence de nouveaux styles de bières ou un contrôle accru sur sa production pour le brasseur.
Mais passé ce premier engouement, de nombreuses questions surgissent et il est légitime de se demander quelle est la vraie motivation derrière le financement et développement de telles technologies.
Des OGM agricoles aux OGM brassicoles
Le parallèle avec le domaine de la semence agricole (maïs, blé...) est très instructif du fait qu'ils ont une bonne vingtaine d'années d'avance dans le développement et l'application de ces technologies. En effet, la recherche sur les grains OGM a toujours été - comme je viens de vous le montrer pour la levure OGM - justifiée par des arguments altruistes: développer des aliments plus gros, nutritifs, goûteux, résistants aux parasites... Mais au final, il s'est agi dans bien des cas d'un véritable cadeau empoisonné. On voit que les grands bénéficiaires sont un nombre réduit de corporations et surtout que ces bénéfices se font au détriment de nombreux agriculteurs et du consommateur. Ceux-là mêmes qui étaient sensés être les grands gagnants.
Ce sujet (des dérives liées aux OGM agricoles) est brillamment traité dans le documentaire "Le monde selon Monsanto" (lien youtube). Il montre par exemple, comment ces grains OGM ont permis à l'industrie de mettre sous leur contrôle des pans entiers de l'agriculture. On comprend ainsi l'intérêt des laboratoires commercialisant les levures à développer et maîtriser ces technologies. On imagine vite pourquoi ils auraient envie de développer, sous couvert de nombreux avantages, des levures brevetées qui par exemple ne pourraient pas fermenter plus que un brassin.

Des brasseurs contre les levures OGM?
J'ai pu discuter de cela avec Chris White (le CEO de White Labs). Il explique qu'aujourd'hui la première raison pour laquelle les brasseurs ne veulent pas utiliser de levure OGM est la vision négative qu'en a le public (même aux USA, si si!). Ne sous estimons donc pas l'influence de nos choix en tant que brasseur et consommateur dans ce débat à venir.
L'avantage d'avoir du recul sur les problèmes liés aux OGM agricoles est qu'ils nous permettent d'anticiper les dérives potentielles des levures OGM et de rester vigilant. On voit que l'aventure commence de la même manière: on nous explique les nombreux avantages pour le brasseur et le consommateur. A nous - brasseurs et consommateurs - de surveiller leur évolution et leur utilisation.
D'un coté, les brasseurs feraient bien d'y réfléchir à deux fois lorsqu'on leur proposera une levure "miracle", quitte à imposer leurs conditions plutôt que l'inverse. Et le consommateur devra garder à l'esprit qu'en achetant ces produits, il sera peut-être en train d'encourager un système néfaste.
Et vous qu'en pensez-vous ? Seriez-vous prêt à utiliser une levure miracle qui réduirait par deux votre temps de fermentation ? Craindriez-vous que le modèle d'emprisonnement agricole se reproduise sur le modèle brassicole ?
Ce billet a été précédemment publié sur le blog Happy Beer Time
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